Métrique en Ligne
ROL_2/ROL265
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES SPECTRES
Le Portrait
À Fernand Desmoulin.
Elle téta la vie au sein d'une pauvresse. 12
Dès le maillot, elle eut l'abominable ivresse 12
D'un lait sanguinolent et presque vénéneux. 12
L'air froid d'un gîte infect aux murs fuligineux 12
5 Granula ses poumons en gelant sa poitrine ; 12
À travers sa peau, mince et navrante vitrine, 12
Sa mère put compter ses pauvres petits os. 12
Elle a grandi pourtant : lamentables fuseaux, 12
Ses membres rabougris et rongés par la fièvre 12
10 Se durcissent avec des souplesses de chèvre, 12
L'épaule s'élargit, le buste émacié 12
S'allonge sveltement sur des hanches d'acier ; 12
Le sein s'est aiguisé jusqu'à piquer ses hardes, 12
Et sa figure verte aux lèvres si blafardes 12
15 Prend la vague stupeur et l'âpre étrangeté 12
D'une mélancolique et spectrale beauté. 12
De son crâne fluet où grouillent les détresses 12
Jaillissent des cheveux fantastiques, sans tresses, 12
Fouillis d'ébène, épais, tordus, fous, au reflet 12
20 Tour à tour diapré, bleuâtre et violet, 12
Ayant de ces frissons inconnus à la terre, 12
Crinière d'outre-tombe où flotte le mystère. 12
Et ses yeux par l'horreur sans cesse écarquillés, 12
Saphirs phosphorescents, douloureux et mouillés, 12
25 Qui se meurent d'ennui dans leur cercle de bistre, 12
Ses yeux ont maintenant une splendeur sinistre ! 12
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