Métrique en Ligne
ROL_2/ROL243
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES SPECTRES
La Chambre
À Charles Cros.
Ma chambre est pareille à mon âme, 8
Comme la mort l'est au sommeil : 8
Au fond de l'âtre, pas de flamme ! 8
À la vitre, pas de soleil ! 8
5 Les murailles sont recouvertes 8
D'un lamentable papier gris 8
Où l'ombre des persiennes vertes 8
Met des taches de vert-de-gris. 8
Au-dessus de mon chevet sombre 8
10 Pend un Christ à l'air ingénu, 8
Qui semble s'enfoncer dans l'ombre 8
Pour ne pas se montrer si nu. 8
Compagnon de ma destinée, 8
Un crâne brisé, lisse et roux, 8
15 Du haut de l'humble cheminée 8
Me regarde avec ses deux trous. 8
Des rideaux lourds et très antiques 8
Se crispent sur le lit profond ; 8
De longs insectes fantastiques 8
20 Dansent et rampent au plafond. 8
Quand l'heure sonne à ma pendule, 8
Elle fait un bruit alarmant ; 8
Chaque vibration ondule 8
Et se prolonge étrangement. 8
25 L'ange de mes amours funèbres, 8
Porte toujours un domino, 8
Et chaque nuit, dans les ténèbres, 8
Va sangloter au piano. 8
Meubles, tableaux, fleurs, livres même, 8
30 Tout sent l'enfer et le poison, 8
Et, comme un drap, l'horreur qui m'aime 8
Enveloppe cette prison. 8
Triste chambre où l'ennui qui raille 8
Veille à mes côtés nuit et jour, 8
35 J'écris ces vers sur ta muraille, 8
Et je bénis ton noir séjour ; 8
Car le torrent aime le gouffre, 8
Et le hibou, l'obscurité ; 8
Car tu plais à mon cœur qui souffre 8
40 Par ton affreuse identité ! 8
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