Métrique en Ligne
ROL_2/ROL237
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES REFUGES
Paysage d'octobre
À Georges Jeanniot.
Le torrent a franchi ses bords 8
Et gagné la pierraille ocreuse ; 8
Le meunier longe avec efforts 8
L'ornière humide qui se creuse. 8
5 Déjà le lézard engourdi 8
Devient plus frileux d'heure en heure ; 8
Et le soleil du plein midi 8
Est voilé comme un œil qui pleure. 8
Les nuages sont revenus, 8
10 Et la treille qu'on a saignée 8
Tord ses longs bras maigres et nus 8
Sur la muraille renfrognée. 8
La brume a terni les blancheurs 8
Et cassé les fils de la Vierge, 8
15 Et le vol des martin-pêcheurs 8
Ne frissonne plus sur la berge. 8
Les arbres se sont rabougris ; 8
La chaumière ferme sa porte, 8
Et le petit papillon gris 8
20 A fait place à la feuille morte. 8
Plus de nénuphars sur l'étang ; 8
L'herbe languit, l'insecte râle, 8
Et l'hirondelle en sanglotant 8
Disparaît à l'horizon pâle. 8
25 Près de la rivière aux gardons 8
Qui clapote sous les vieux aulnes, 8
Le baudet cherche les chardons 8
Que rognaient si bien ses dents jaunes. 8
Mais comme le bluet des blé, 8
30 Comme la mousse et la fougère, 8
Les grands chardons s'en sont allés 8
Avec la brise et la bergère. 8
Tout pelotonné sur le toit 8
Que l'atmosphère mouille et plombe, 8
35 Le pigeon transi par le froid 8
Grelotte auprès de la colombe ; 8
Et, tous deux, sans se becqueter, 8
Trop chagrins pour faire la roue, 8
Ils regardent pirouetter 8
40 La girouette qui s'enroue. 8
Au-dessus des vallons déserts 8
Où les mares se sont accrues, 8
À tire-d'aile, dans les airs 8
Passe le triangle des grues ; 8
45 Et la vieille, au bord du lavoir, 8
Avec des yeux qui se désolent, 8
Les regarde fuir et croit voir 8
Les derniers beaux jours qui s'envolent. 8
Dans les taillis voisins des rocs 8
50 La bécasse fait sa rentrée ; 8
Les corneilles autour des socs 8
Piétinent la terre éventrée, 8
Et, décharné comme un fagot, 8
Le peuplier morne et funèbre 8
55 Arbore son nid de margot 8
Sur le ciel blanc qui s'enténèbre. 8
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