Métrique en Ligne
ROL_2/ROL234
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES REFUGES
La Pipe
À Camille Pelletan.
Quand l'uniformité m'écœure, 8
Dans la rue ou dans la maison, 8
Que de fois pour nuager l'heure 8
Je savoure ton cher poison ! 8
5 Ô ma coupe de nicotine, 8
Mon regard jubile en suivant 8
Ta fumée errante et lutine 8
Comme l'onde et comme le vent ! 8
Quel doux philtre dans ces bouffées 8
10 Que j'aspire par ton cou noir ! 8
Seul avec toi, je vois des fées 8
Dansant au sommet d'un manoir. 8
Humant ton odeur tabagique 8
Plus subtile que des parfums, 8
15 Au milieu d'un rêve magique, 8
J'évoque mes amis défunts ; 8
Et ma spectrale bien-aimée, 8
Avec son regard alarmant, 8
Sur tes spirales de fumée 8
20 Flotte mystérieusement. 8
Ton brouillard est l'escarpolette 8
Qui berce mes jours et mes nuits ; 8
Tu chasses comme une amulette 8
Mes cauchemars et mes ennuis. 8
25 Et je cuis mon dégoût du monde 8
Dans ton fourneau large et profond : 8
Je trouve l'homme moins immonde 8
En te fumant, l'œil au plafond. 8
Tu montres à ma fantaisie 8
30 Qui s'enveloppe d'un linceul, 8
Des horizons de poésie 8
Où le vers s'ébauche tout seul ; 8
Et pour moi ta saveur bénie, 8
Délicieuse d'âcreté, 8
35 Conserve en sa monotonie 8
Une éternelle nouveauté ! 8
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