Métrique en Ligne
ROL_2/ROL191
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES REFUGES
Les Roses
À Auguste Arnault.
Dans l'air comme embrasé par une chaleur d'âtre 12
Elles ont un arôme aussi lourd qu'ennuyé, 12
Et par un crépuscule orageux et mouillé 12
La blanche devient jaune, et la jaune, verdâtre. 12
5 Mais à l'aube naissante, À cette heure où la nuit 12
Abandonne en pleurant les étoiles éteintes, 12
Chacune se déplisse et rallume ses teintes, 12
Et leur parfum s'envole avec le vent qui fuit. 12
Souvent on aperçoit dans l'atmosphère chaude, 12
10 Sur leurs pétales blancs, purpurins ou rosés, 12
Un beau petit insecte aux reflets irisés, 12
Qui miroite au soleil ainsi qu'une émeraude. 12
Bien des mouches qui sont distilleuses de miel 12
Vampirisent gaîment ces reines végétales, 12
15 Et plus d'un vent du nord aux haleines brutales 12
Ravage leur parterre endormi sous le ciel. 12
Elles ont beau piquer le doigt qui les enlève : 12
On affronte en riant leur perfide beauté, 12
Pour cueillir ces boutons si pleins de volupté, 12
20 Qu'on dirait de la chair pétrie avec du rêve. 12
Ornant la modestie aussi bien que l'orgueil, 12
Fleurissant tout, cheveux, boutonnières, corsages, 12
Elles sont les joyaux des fous comme des sages 12
Et s'effeuillent encor sur la vierge au cercueil. 12
25 Et même, entre l'if morne et le cyprès austère, 12
Dans les dortoirs pierreux où gisent les défunts, 12
Elles font oublier à force de parfums 12
La putréfaction qui fermente sous terre. 12
Aussi, bien que rongé de souffrance et d'ennuis, 12
30 Je me plais à les voir, corolle grande ouverte, 12
Se pavaner au bout de leur tige âpre et verte 12
Dans la corbeille ovale aux bordures de buis. 12
Mon esprit embrumé subit leur influence ; 12
Elles me font rêver d'ineffables Édens, 12
35 Et j'adore ces fleurs où l'ange des jardins 12
Raffine le parfum, la forme et la nuance. 12
J'aime la rose pourpre aux boutons de carmin, 12
Coupe où l'on boit le sang filtré de la nature, 12
Sirène dont le souffle errant à l'aventure 12
40 Est un chuchotement d'amours sans lendemain. 12
Mais je préfère encor la rose poitrinaire 12
Dont l'incarnat plaintif avive la pâleur : 12
Oh ! comme tes soupirs embaumés, triste fleur, 12
M'arrivent doux et purs dans la clarté lunaire ! 12
45 De la villa moderne à l'antique manoir, 12
Tu délectes partout mon œil et ma narine : 12
Où que j'aille, c'est toi que mon humeur chagrine 12
Frôle amoureusement comme un papillon noir. 12
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