Métrique en Ligne
ROL_2/ROL177
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES REFUGES
Le Cœur guéri
CHANT ROYAL
Celle que j'aime est une enchanteresse 10
Au front pudique, aux longs cheveux châtains ; 10
Compagne et sœur, ma muse et ma maîtresse, 10
Elle ravit mes soirs et mes matins. 10
5 Svelte beauté, sensitive jolie, 10
Elle a l'œil tendre et la taille qui plie ; 10
Moi, le suiveur des funèbres convois, 10
J'ai frémi d'aise au doux son de sa voix, 10
Et maintenant que l'amour m'électrise, 10
10 Toujours, partout, je l'entends, je la vois ; 10
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise. 10
Geste pensif et qui vous intéresse, 10
Bouche d'enfant sans rires enfantins, 10
Étrangeté jusque dans la caresse, 10
15 Regards profonds, veloutés et lointains, 10
Joue inquiète et quelquefois pâlie 10
Par la souffrance et la mélancolie, 10
Tête française avec un air suédois, 10
Pied de gazelle, et jolis petits doigts 10
20 Par qui toujours la musique est comprise : 10
Aussi, je l'aime autant que je le dois, 10
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise. 10
Elle a comblé mon esprit d'allégresse, 10
Purifié mon art et mes instincts, 10
25 Et maintenant, mon âme qui progresse 10
Plane au-dessus des rêves libertins. 10
Je suis calmé, je suis chaste ; j'oublie 10
Ce que je fus ! ma chair est ennoblie ; 10
Je ne suis plus le poète aux abois 10
30 Qui frissonnait d'horreur au fond des bois, 10
J'aime la nuit, qu'elle soit noire ou grise, 10
Et, bénissant le philtre que je bois, 10
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise. 10
La destinée, hélas ! est bien traîtresse, 10
35 Mais je souris quand même à mes destins, 10
Car, dès ce jour, au lieu de ma détresse, 10
J'ai la saveur des mystiques festins. 10
Tout à l'amour qui désormais nous lie, 10
Avec l'espoir je me réconcilie ; 10
40 En vain l'ennui me guette en tapinois, 10
Je ne crains plus cet ennemi sournois : 10
Le bouclier contre qui tout se brise, 10
Je l'ai, pour vaincre au milieu des tournois ! 10
Mon pauvre cœur enfin se cicatrise. 10
45 Je ne redoute aucun danger, serait-ce 10
L'Enfer lui-même ! à mes défis hautains 10
Satan se tait ! l'embûche qu'il me dresse 10
Je la découvre, et marche à pas certains. 10
Ma volonté germe et se multiplie ; 10
50 Les rêves bleus dont ma tête est remplie 10
Chassent au loin mes spleens et mes effrois 10
Pour me parler du Ciel à qui je crois, 10
Et je pardonne à ceux que je méprise, 10
Comme le Christ en mourant sur la croix ; 10
55 Mon pauvre cœur enfin se cicatrise. 10
ENVOI
À toi ces vers dont l'Amour a fait choix 10
Tu voudras bien les lire quelquefois ? 10
Reine aux doux yeux dont mon âme est éprise, 10
Tu m'as rendu le plus heureux des rois ! 10
60 Mon pauvre cœur enfin se cicatrise. 10
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