Métrique en Ligne
ROL_2/ROL160
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES LUXURES
La Relique
À Michel Menard.
Avant son mariage, — ô souffrance mortelle ! — 12
Elle me la donna sa chemise en dentelle, 12
Celle qu'elle avait le doux soir 8
Où, cédant à mes pleurs qui lui disaient : « Viens, Berthe ! » 12
5 Près de moi haletant sur la couche entr'ouverte, 12
Frémissante elle vint s'asseoir. 8
Ce linge immaculé qu'embaumait son corps vierge, 12
Quand elle vint me faire, aussi pâle qu'un cierge, 12
Ses chers adieux si redoutés, 8
10 Elle me le tendit d'un air mélancolique 12
En soupirant : « Voici la suprême relique 12
De nos défuntes voluptés. 8
« Je te la donne, ami, ma chemise brodée : 12
Car, la première fois que tu m'as possédée, 12
15 Je la portais, t'en souviens-tu ? 8
Elle seule a connu les brûlantes ivresses 12
Que ta voix musicale et pleine de caresses 12
Faisait courir dans ma vertu. 8
« Elle seule entendit les aveux réciproques 12
20 Que, jour et nuit, mes seins, dans leurs gentils colloques, 12
Échangeaient tout bas en tremblant ; 8
Elle seule a pu voir comme une vierge flambe 12
Quand le genou d'un homme ose effleurer sa jambe 12
Qui tressaille dans son bas blanc. 8
25 « Dès l'heure où sur mon cou frémit ta lèvre ardente, 12
Tout mon corps anxieux a pris pour confidente 12
Cette chemise en tulle fin ; 8
Et ses sensations aussi neuves qu'impures, 12
Voluptueusement, dans le flot des guipures, 12
30 Ont dit qu'il se donnait enfin. 8
« Conserve-la toujours ! Qu'elle soit pour ton âme 12
La chair mystérieuse et vague de la femme 12
Qui te voue un culte éternel ; 8
Qu'elle soit l'oreiller de tes regrets moroses ; 12
35 Quand tu la baiseras, songe aux nudités roses 12
Qui furent ton festin charnel ! 8
« Que les parfums ambrés de ma peau qui l'imprègnent, 12
Pour l'odorat subtil de tes rêves, y règnent 12
Candides et luxurieux ! 8
40 Qu'elle garde à jamais l'empreinte de mes formes ! 12
J'ai dit à mon amour : « J'exige que tu dormes 12
« Entre ses plis mystérieux. » 8
« Les chaleurs, les frissons de ma chair en alarmes, 12
Quand ma virginité rouge et buvant ses larmes 12
45 Te fuyait comme un assassin, 8
Ce que j'ai ressenti de bonheur et de crainte 12
Quand tu m'as attirée et que tu m'as étreinte 12
En collant ta bouche à mon sein : 8
« Elle t'apprendra tout ! Dans ses muettes odes, 12
50 Elle rappellera d'amoureux épisodes 12
À ton hallucination ; 8
Et ton rêve, y trouvant mes bien-aimés vestiges, 12
Bénira, l'aile ouverte au milieu des vertiges, 12
Sa chère fascination. 8
55 « Adieu ! » — J'ai conservé la mignonne chemise 12
Je l'exhume parfois du coffre où je l'ai mise, 12
Et je la baise avec ferveur ; 8
Et mon rêve est si chaud, qu'en elle il fait revivre 12
Ce corps si capiteux dont je suis encore ivre, 12
60 Car il m'en reste la saveur. 8
Alors, je la revois dans un nimbe de gloire, 12
La sirène aux pieds blancs comme du jeune ivoire, 12
Mon ancienne adoration, 8
Qui, moderne païenne, ingénue et lascive, 12
65 Allumait d'un regard dans mon âme pensive 12
Des fournaises de passion. 8
Son corps de Grecque, ayant l'ardeur de la Créole, 12
Tour à tour délirant et plein de langueur molle, 12
Toujours affamé de plaisir, 8
70 Et qui, reptile humain, se tordait dans l'alcôve, 12
Bouillant d'une hystérie irrésistible et fauve 12
Pour éterniser mon désir ; 8
Sa bouche de corail, humide et parfumée, 12
Ses petits pieds d'enfant, ses deux jambes d'almée, 12
75 Sa chevelure aux flots houleux, 8
Sa gorge aiguë et ferme, et ses robustes hanches, 12
Ses secrètes beautés purpurines et blanches, 12
Ses yeux immenses, noirs et bleus ; 8
Tous ces mille rayons d'une chair si féline 12
80 Embrasent ma chair froide et toujours orpheline 12
Depuis que l'amour m'a quitté ; 8
Et lui criant : « Ma Berthe ! enlaçons-nous sans trêve ! » 12
Je la possède encor dans l'extase du rêve 12
Comme dans la réalité ! 8
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