Métrique en Ligne
ROL_2/ROL103
Maurice ROLLINAT
Les Névroses
1883
LES ÂMES
Les Frissons
À Albert Wolff.
De la tourterelle au crapaud, 8
De la chevelure au drapeau, 8
À fleur d'eau comme à fleur de peau 8
Les frissons courent : 4
5 Les uns furtifs et passagers, 8
Imperceptibles ou légers, 8
Et d'autres lourds et prolongés 8
Qui vous labourent. 4
Le vent par les temps bruns ou clairs 8
10 Engendre des frissons amers 8
Qu'il fait passer du fond des mers 8
Au bout des voiles ; 4
Et tout frissonne, terre et cieux, 8
L'homme triste et l'enfant joyeux, 8
15 Et les pucelles dont les yeux 8
Sont des étoiles ! 4
Ils rendent plus doux, plus tremblés 8
Les aveux des amants troublés ; 8
Ils s'éparpillent dans les blés 8
20 Et les ramures ; 4
Ils vont orageux ou follets 8
De la montagne aux ruisselets, 8
Et sont les frères des reflets 8
Et des murmures. 4
25 Dans la femme où nous entassons 8
Tant d'amour et tant de soupçons, 8
Dans la femme tout est frissons : 8
L'âme et la robe ! 4
Oh ! celui qu'on voudrait saisir ! 8
30 Mais à peine au gré du désir 8
A-t-il évoqué le plaisir, 8
Qu'il se dérobe ! 4
Il en est un pur et calmant, 8
C'est le frisson du dévoûment 8
35 Par qui l'âme est secrètement 8
Récompensée ; 4
Un frisson gai naît de l'espoir, 8
Un frisson grave du devoir ; 8
Mais la Peur est le frisson noir 8
40 De la pensée. 4
La Peur qui met dans les chemins 8
Des personnages surhumains, 8
La Peur aux invisibles mains 8
Qui revêt l'arbre 4
45 D'une caresse ou d'un linceul ; 8
Qui fait trembler comme un aïeul 8
Et qui vous rend, quand on est seul, 8
Blanc comme un marbre. 4
D'où vient que parfois, tout à coup, 8
50 L'angoisse te serre le cou ? 8
Quel problème insoluble et fou 8
Te bouleverse, 4
Toi que la science a jauni, 8
Vieil athée âpre et racorni ? 8
55 — « C'est le frisson de l'Infini 8
Qui me traverse ! » 4
Le strident quintessencié, 8
Edgar Poe, net comme l'acier, 8
Dégage un frisson de sorcier 8
60 Qui vous envoûte ! 4
Delacroix donne à ce qu'il peint 8
Un frisson d'if et de sapin, 8
Et la musique de Chopin 8
Frissonne toute. 4
65 Les anémiques, les fiévreux, 8
Et les poitrinaires cireux, 8
Automates cadavéreux 8
À la voix trouble, 4
Tous attendent avec effroi 8
70 Le retour de ce frisson froid 8
Et monotone qui décroît 8
Et qui redouble. 4
Ils font grelotter sans répit 8
La Misère au front décrépit, 8
75 Celle qui rôde et se tapit 8
Blafarde et maigre, 4
Sans gîte et n'ayant pour l'hiver 8
Qu'un pauvre petit châle vert 8
Qui se tortille comme un ver 8
80 Sous la bise aigre. 4
Frisson de vie et de santé, 8
De jeunesse et de liberté ; 8
Frisson d'aurore et de beauté 8
Sans amertume ; 4
85 Et puis, frisson du mal qui mord, 8
Frisson du doute et du remord, 8
Et frisson final de la mort 8
Qui nous consume ! 4
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