Métrique en Ligne
ROL_1/ROL2
Maurice ROLLINAT
Dans Les Brandes
Poèmes Et Rondels
1877
A TRAVERS CHAMPS
Hors de Paris, mon cœur s'élance, 8
Assez d'enfer et de démons : 8
Je veux rêver dans le silence 8
Et dans le mystère des monts. 8
5 Barde assoiffé de solitude 8
Et bohémien des guérets, 8
J'aurai mon cabinet d'étude 8
Dans les clairières des forêts. 8
Et là, mes vers auront des notes 8
10 Aussi douces que le soupir 8
Des rossignols et des linottes 8
Lorsque le jour va s'assoupir. 8
Parfumés d'odeurs bocagères, 8
Ensoleillés d'agreste humour, 8
15 Ils auront, comme les bergères, 8
L'ingénuité dans l'amour. 8
M'y voici : la campagne est blonde, 8
L'horizon clair et le ciel bleu. 8
La terre est sereine, — et dans l'onde 8
20 Se mire le soleil en feu ! 8
Là, fuyant code et procédure, 8
Mon pauvre père, chaque été, 8
Venait prendre un bain de verdure, 8
De poésie et de santé. 8
25 Là, plus qu'ailleurs, pour ma tendresse, 8
Son souvenir est palpitant ; 8
Partout sa chère ombre se dresse, 8
Dans ce pays qu'il aimait tant ! 8
Sous le chêne aux branches glandées, 8
30 Il me vient un souffle nouveau, 8
Et les rimes et les idées 8
Refleurissent dans mon cerveau. 8
Je revois l'humble silhouette 8
De la maison aux volets verts, 8
35 Avec son toit à girouette 8
Et ses murs d'espaliers couverts ; 8
Le jardin plein de rumeurs calmes 8
Où l'arbre pousse vers l'azur, 8
Le chant multiple de ses palmes 8
40 Qui frissonnent dans un air pur ; 8
Les petits carrés de légumes 8
Bordés de lavande et de buis, 8
Et les pigeons lustrant leurs plumes 8
Sur la margelle du vieux puits. 8
45 Plus de fâcheux, plus d'hypocrites ! 8
Car je fréquente par les prés 8
Les virginales marguerites 8
Et les coquelicots pourprés. 8
Enfin ! je nargue l'attirance 8
50 Épouvantable du linceul, 8
Et je bois un peu d'espérance 8
Au ruisseau qui jase tout seul. 8
Je marche enfin le long des haies, 8
L'âme libre de tout fardeau, 8
55 Traversant parfois des saulaies 8
Où sommeillent des flaques d'eau. 8
Ami de la vache qui broute, 8
Du vieux chaume et du paysan, 8
Dès le matin je prends la route 8
60 De Châteaubrun et de Crozan. 8
Dans l'air, les oiseaux et les brises 8
Modulent de vagues chansons ; 8
A mon pas les pouliches grises 8
Hennissent au bord des buissons, 8
65 Tandis qu'au fond des luzernières, 8
Jambes aux fers, tête au licou, 8
Les vieilles juments poulinières 8
Placidement lèvent le cou. 8
Le lézard, corps insaisissable 8
70 Où circule du vif-argent ; 8
Promène au soleil sur le sable 8
Sa peau verte au reflet changeant : 8
Dans les pacages d'un vert sombre, 8
Où, çà et là, bâillent des trous, 8
75 Sous les ormes, couchés à l'ombre, 8
L'œil mi-clos, songent les bœufs roux. 8
Dressant leur tête aux longues cornes, 8
Parfois les farouches taureaux 8
Poussent, le long des étangs mornes, 8
80 Des mugissements gutturaux. 8
Sur les coteaux et sur les pentes, 8
Aux environs d'un vieux manoir, 8
Je revois les chèvres grimpantes, 8
Les moutons blancs et le chien noir. 8
85 Debout, la bergère chantonne 8
D'une douce et traînante voix 8
Une complainte monotone, 8
Avec son fuseau dans les doigts. 8
Et je m'en reviens à la brune 8
90 Tout plein de calme et de sommeil, 8
Aux rayons vagues de la lune, 8
Ce mélancolique soleil ! 8
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