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ROL_1/ROL1
Maurice ROLLINAT
Dans Les Brandes
Poèmes Et Rondels
1877
FUYONS PARIS
O ma si fragile compagne, 8
Puisque nous souffrons à Paris, 8
Envolons-nous dans la campagne 8
Au milieu des gazons fleuris. 8
5 Loin, bien loin des foules humaines, 8
Où grouillent tant de cœurs bourbeux. 8
Allons passer quelques semaines 8
Chez les peupliers et les bœufs. 8
Fuyons les viles courtisanes 8
10 Aux flancs de marbre, aux doigts crochus, 8
Viens ! nous verrons des paysannes 8
Aux seins bombés sous les fichus. 8
Nos boulevards seront des plaines 8
Où le seigle ondoie au zéphir, 8
15 Et des clairières toutes pleines 8
De fleurs de pourpre et de saphir. 8
En buvant le lait d'une ânesse 8
Que tu pourras traire en chemin 8
Tu rafraîchiras ta jeunesse 8
20 Et tu lui rendras son carmin. 8
Dans les halliers, sous la ramure, 8
Douce rôdeuse au pied mignon, 8
Tu t'en iras chercher la mûre, 8
La châtaigne et le champignon. 8
25 Les fruits qu'avidement tu guignes, 8
Va ! laisse-les aux citadins ! 8
Nous, nous irons manger des guignes 8
Au fond des rustiques Édens. 8
Au village, on a des ampoules, 8
30 Mais, aussi, l'on a du sommeil. 8
Allons voir picorer les poules 8
Sur les fumiers pleins de soleil. 8
Sous la lune, au bord des marnières, 8
Entre des buissons noirs et hauts, 8
35 La carriole dans les ornières 8
A parfois de si doux cahots ! 8
J'aime l'arbre et maudis les haches ! 8
Et je ne veux mirer mes yeux 8
Que dans la prunelle des vaches, 8
40 Au fond des prés silencieux ! 8
Si tu savais comme la muse 8
M'emplit d'un souffle virginal, 8
Lorsque j'entends la cornemuse 8
Par un crépuscule automnal ! 8
45 Paris, c'est l'enfer ! — sous les crânes, 8
Tous les cerveaux sont desséchés ! 8
Oh ! les meunières sur leurs ânes 8
Cheminant au flanc des rochers ! 8
Oh ! le vol des bergeronnettes, 8
50 Des linottes et des piverts ! 8
Oh ! le cri rauque des rainettes 8
Vertes au creux des buissons verts ! 8
Mon âme devient bucolique 8
Dans les chardons et les genêts, 8
55 Et la brande mélancolique 8
Est un asile où je renais. 8
Sans fin, Seine cadavéreuse, 8
Charrie un peuple de noyés ! 8
Nous, nous nagerons dans la Creuse, 8
60 Entre des buis et des noyers ! 8
Près d'un petit lac aux fleurs jaunes 8
Hanté par le martin-pêcheur, 8
Nous rêvasserons sous les aunes, 8
Dans un mystère de fraîcheur. 8
65 Fuyons square et bois de Boulogne ! 8
Là, tout est artificiel ! 8
Mieux vaut une lande en Sologne, 8
Grisâtre sous l'azur du ciel ! 8
Si quelquefois le nécrophore 8
70 Fait songer au noir fossoyeur, 8
Le pic au bec long qui perfore 8
Est un ravissant criailleur. 8
Sommes-nous blasés sans ressource ? 8
Non, viens ! nous serons attendris 8
75 Par le murmure de la source 8
Et la chanson de la perdrix. 8
Le pauvre agneau que l'homme égorge 8
Est un poème de douceur ; 8
Je suis l'ami du rouge-gorge 8
80 Et la tourterelle est ta sœur ! 8
Quand on est las de l'imposture 8
De la perverse humanité, 8
C'est aux sources de la nature 8
Qu'il faut boire la vérité. 8
85 L'éternelle beauté, la seule, 8
Qui s'épanouit sur la mort. 8
C'est Elle ! la Vierge et l'Aïeule 8
Toujours sans haine et sans remord ! 8
Aux champs, nous calmerons nos fièvres, 8
90 Et mes vers émus, que tu bois, 8
Jailliront à flots de mes lèvres, 8
Dans la pénombre des grands bois. 8
Viens donc, ô chère créature ! 8
Paris ne vaut pas un adieu ! 8
95 Partons vite et, dans la nature, 8
Grisons-nous d'herbe et de ciel bleu ! 8
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