Métrique en Ligne
ROD_2/ROD183
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
LA TENTATION DES NUAGES
I
En vain les vitres glauques des vieilles maisons 12
Sont un rempart de verre humble qui s'interpose 12
Entre la vie en fièvre et la calme âme enclose, 12
Elles n'ont qu'embrumé l'appel des horizons. 12
5 Le lointain ciel sans cesse y passe et les aère 12
Du prestige de ses beaux voyages tentants ; 12
Et les nuages qui sont les robes du temps 12
Se reposent parmi ces armoires de verre. 12
Les midis, d'un vaste or fluide, le soir mauve, 12
10 L'aube, tout ce qui passe et part incessamment, 12
Vient tenter l'âme en songe et qui se croyait sauve 12
Derrière le cristal de son renoncement. 12
Ah ! les vitres, toujours reprises par la Vie, 12
Qui, reflétant la vaine ivresse du départ, 12
15 Sont complices du ciel en marche qui convie, 12
Comme s'il y avait le bonheur autre part ! 12
Tentation dans les vitres fallacieuses 12
Qui propagent, en l'ombre intime des maisons, 12
La vagabonde humeur des changeants horizons 12
20 Et leurs roses et leurs flammes silencieuses. 12
Et tu souffres, pauvre âme enclose, qui songeais 12
Dans le sage insouci des âmes qui renoncent, 12
Car les vitres qui s'éclaircissent ou se foncent 12
S'emplissent de l'ardeur fiévreuse des projets. 12
25 Les vitres ont trahi ! Demeures mal gardées ! 12
Mais les vitres déjà, pour avoir accueilli 12
Les vieux couchants, ont pris soudain un air vieilli, 12
Courtisanes que les nuages ont fardées ! 12
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