Métrique en Ligne
ROD_2/ROD178
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
LE VOYAGE DANS LES YEUX
XVI
Yeux d'aveugles : ils sont tristes, l'air d'une plaie ; 12
Yeux nuls, sans effigie ; étain qui se délaie ; 12
Yeux d'aveugles : jardins où la vie a neigé ; 12
Yeux plus vitreux que ceux des morts. Ah ! qu'ils sont tristes, 12
5 Nus comme les tonsures des séminaristes ; 12
Eau d'un canal que nuls bateaux n'ont imagé ; 12
Patènes qui jamais ne mireront la messe 12
Et les cierges et des lèvres d'enfants de chœur. 12
Veilleuses sans clarté. Fioles sans liqueur. 12
10 Depuis quand ? Sont-ils nés dans cette ombre ? Ou bien n'est-ce 12
Qu'un obscurcissement graduel — tel le soir ; 12
Ou l'usure — tel un tissu réincorpore 12
Les roses et les lis le brodant sur fond noir, 12
Et bientôt s'unifie en étoffe incolore. 12
15 Ah ! qu'ils sont tristes ! qu'ils sont tristes ! On dirait 12
Des scellés apposés sur une tête morte. 12
Ces yeux, sans plus jamais qu'un seul regard en sorte, 12
C'est, sans tain, un miroir qui s'étiolerait ; 12
C'est, sans jet d'eau, la vasque immobile qui gèle ; 12
20 C'est, derrière une vitre, une hostie en prison. 12
Ah ! ces yeux ! on frissonne au bord de leur margelle, 12
Puits d'infini, que bouche un si calme glaçon. 12
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