Métrique en Ligne
ROD_2/ROD173
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
LE VOYAGE DANS LES YEUX
XI
Celui qui dessina ces Têtes au fusain 12
En rehaussa d'un peu de couleurs la souffrance ; 12
Leurs lèvres, comme en un vitrail diocésain, 12
Sont closes ; on dirait des fermoirs de silence. 12
5 Mais leurs yeux, leurs yeux froids élargis en halo, 12
Ces yeux bleuis, pareils à des bouches dans l'eau, 12
Appellent comme en se noyant quelque Ophélie. 12
Yeux dilatés, bijoux pâles de la folie ! 12
Princesses d'Elseneur ou de l'Escurial 12
10 Dont la tristesse en ces fusains noirs persévère, 12
Victimes reposant sous la pitié du verre 12
Comme au fil d'un tranquille étang seigneurial. 12
Yeux qui durent parmi ces figures mort-nées… 12
Tels les joyaux dans les couronnes en exil, 12
15 Les couronnes sans but des reines détrônées. 12
Ces faces ? Lis défunts. Mais l'œil est un pistil 12
Où la vie est continuée et se résorbe. 12
La lune vit, ayant des yeux tels dans son orbe ! 12
Ah ! ces yeux, les clairs de lune qu'ils ont été ! 12
20 Yeux fixes qui font ces Têtes hallucinées ! 12
Des yeux qui furent morts mais ont ressuscité 12
Et gardent tout : ciel bleu, fleurs emmagasinées, 12
Tout le vaste paysage d'après-midi 12
Qu'ils ont capté durant la suprême minute, 12
25 Mais dont l'amas d'eau vive, absorbée en leur chute, 12
N'a pu détruire en eux le mirage agrandi. 12
Yeux de reflets et de verdure délayée, 12
Yeux remontés à la surface, revenus 12
Avec un tatouage au fil des globes nus, 12
30 Et qui disent ce que médite une noyée ! 12
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