LES MALADES AUX FENÊTRES |
XVI |
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Comme te voilà loin de celui que tu fus |
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Ô malade, déjà si lointain, si confus, |
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Méconnaissable, et si différent de toi-même ! |
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La lune ainsi se voit reculée et plus blême |
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Toute changée et délayée en son halo |
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Quand elle se confronte avec elle dans l'eau. |
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De même, étant malade, on se ressemble à peine ; |
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On n'a plus son visage, ah ! comme on est changé ! |
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On est le mouton nu qui pleure après sa laine ; |
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On se trouve soudain plus sage et plus âgé ; |
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On se cherche, on se perd, en molle souvenance ; |
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Soi-même on se revoit tel qu'après une absence ; |
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On se reconnaît mal comme à se voir dans l'eau ; |
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On est si différent qu'on se semble nouveau, |
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Avec même une autre âme, avec d'autres idées, |
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— Des lis simples ont remplacé les orchidées ! — |
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Et de celui qu'on fut on se souvient si peu, |
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Moins que le soir ne se souvient du matin bleu ! |
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Le malade ainsi songe et, dans sa vie, il erre. |
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Sa vie ! Elle lui semble à lui-même étrangère, |
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Elle s'efface et se résume à du brouillard ; |
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Ce qu'il s'en remémore, en tant de crépuscule, |
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Est advenu naguère à quelqu'un, quelque part ; |
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Peut-être est-ce à lui-même et qu'il fut somnambule ? |
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Peut-être qu'il se trompe et que c'est arrivé |
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À un qui lui ressemble et dans une autre vie ? |
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Passé qu'il a vécu, mais qui semble rêvé. |
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N'était-il pas un autre avant la maladie ? |
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Or ce pâle Autrefois si peu se prolongea, |
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Maison de l'horizon indistincte déjà |
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Qu'indique seule une fumée irrésolue… |
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Tout est si transitoire et si vite accompli ! |
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Sa vie antérieure est presque dans l'oubli ; |
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Il la sent vague en lui comme une histoire lue ; |
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Et, morne, il a l'impression jusqu'à l'aigu |
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D'avoir à peine été, d'avoir si peu vécu ! |
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