Métrique en Ligne
ROD_2/ROD157
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
LES MALADES AUX FENÊTRES
XIV
Comme tout est changé de par la maladie 12
Dans la maison qui prend un air religieux ; 12
Elle semble plus vide, elle semble agrandie, 12
Il s'y répand un silence contagieux 12
5 Dont le plus léger bruit blesse la neige vierge. 12
Vie en songe ! voici que s'embrument les pas, 12
Et les voix mêmement s'embrument, parlent bas ; 12
Le malade est l'hostie où tout l'encens converge. 12
Quel mystère est latent ? Quel rite s'accomplit 12
10 Pour qu'un respect d'autel environne le lit ? 12
Tout subit par degrés la mystique influence : 12
Comme par un vitrail, le jour se dénuance ; 12
Un étranger, il semble (est-ce l'ange gardien 12
Soudain visible ?), habite à présent la demeure, 12
15 Comme pour prémunir du danger qu'on y meure, 12
Et la maison craintive a pris un air chrétien. 12
Or on s'améliore, on s'épure soi-même 12
Par la sorte d'ennoblissement propagé ; 12
On se sent devenir autre, le cœur changé ; 12
20 Il flotte en la demeure un parfum de saint chrême ; 12
Déjà les passions, à leur tour, parlent bas ; 12
Même le juste amour interrompt ses ébats ; 12
On se semble, à présent, vivre dans une église. 12
Le malade apparaît grave et sacerdotal, 12
25 L'air d'avoir avec Dieu quelque entretien mental. 12
Car le Silence enfin en lui se réalise ! 12
Il est celui qui fait taire les bruits humains 12
Et les transsubstantie en imposant les mains ; 12
Il est l'essence et la substance du Silence ; 12
30 Il en est la Victime et le Prêtre à la fois ; 12
C'est un Saint Sacrifice aussi que la souffrance… 12
La maison entend Dieu qui descend à sa voix ! 12
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