Métrique en Ligne
ROD_2/ROD149
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
LES MALADES AUX FENÊTRES
VI
Et l'on redevient doux de la toute-douceur ! 12
La maladie est à ce point anémiante 12
Qu'on prend un air de première communiante, 12
Qu'on prend, au lieu de son cœur d'homme, un cœur de fleur, 12
5 Un cœur de nénuphar dans une ville morte 12
Indifférent à tout ce qui se passe autour 12
De la silencieuse eau pâle qui le porte. 12
Et l'on redevient doux comme la fin du jour, 12
Comme un canal après qu'on a fermé l'écluse. 12
10 Douceur qui vient de la douleur qui désabuse, 12
Et de se sentir seul puisqu'on est anormal ; 12
Douceur qui vient de l'isolement dans son mal, 12
La maladie étant une autre solitude. 12
On est le saule au bord d'une eau d'incertitude, 12
15 Inquiet seulement de son vague reflet 12
Qui s'éteindrait dans l'eau si quelque vent soufflait. 12
On redevient de la douceur originelle ; 12
Tous les rêves qu'on fait ont à présent une aile, 12
Et cette douceur d'âme irradie au dehors, 12
20 Si bien que le visage a des pâleurs d'hostie, 12
Visage eucharistique et dont on communie ! 12
Et l'on redevient doux comme un appel de cors, 12
Comme on l'est quand on cause à la fin d'un dimanche ; 12
On dirait que soudain la voix s'est faite blanche 12
25 Pour parler de la vie ainsi que d'un exil, 12
Ô calme voix qu'à peine un peu le couchant fonce, 12
Le calme son de voix de celui qui renonce, 12
Un son de voix déjà céleste et volatil, 12
Sauf aux instants de mal physique où l'on s'énerve ; 12
30 Mais combien de trésors de douceur en réserve ! 12
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