Métrique en Ligne
ROD_2/ROD146
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
LES MALADES AUX FENÊTRES
III
Doux réconfort qu'une présence de veilleuse 12
Si calme, dans la chambre, et l'air dévotieuse ; 12
Œil vigilant que le malade sent sur soi ; 12
Lumière humble ; discret dévouement qui se voile 12
5 De porcelaine ou de cristal, et s'y tient coi ; 12
Clarté qui s'atténue : on dirait une étoile 12
Dans de l'eau ; dans du tulle inviolable, un lis ; 12
On dirait une hostie en feu dans un ciboire. 12
Elle a l'air si lointaine et comme de jadis ! 12
10 C'est à peine si l'ombre autour d'elle se moire 12
Et se dilate en une argentine pâleur, 12
Vague contagion de son halo placide, 12
Accroissement de ses linges de Sacré-Cœur… 12
Or c'est assez pour que l'ombre enfin s'élucide, 12
15 L'ombre dont le malade a peur comme un enfant ; 12
Car dans la chambre où naît cette clarté recluse 12
Il semble qu'un peu de clair de lune s'infuse. 12
L'ombre d'abord dans les angles noirs se défend ; 12
Mais bientôt elle cède en de minimes luttes ; 12
20 La veilleuse empiète, élargit ses volutes ; 12
Et la chambre gagnée est plus claire au milieu. 12
Lors le conflit s'achève en fantasmagories : 12
Reflet des meubles ; vols d'ombres trop agrandies 12
Charbonnant le plafond d'un vague camaïeu… 12
25 Or le malade aussi que la clarté ranime 12
Sent ce reflet en lui des choses d'alentour 12
Et le jeu noir de toute cette pantomime 12
Imageant son cerveau dans l'attente du jour. 12
La veilleuse à son tour le distrait, le renseigne ; 12
30 Lueur faible : c'est son espoir de guérison, 12
Ce qui reste de sa santé dans la maison ; 12
Mais quelle peur que tout à coup elle s'éteigne !… 12
logo du CRISCO logo de l'université