Métrique en Ligne
ROD_2/ROD127
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
LE SOIR DANS LES VITRES
X
Aux heures de soir morne où l'on voudrait mourir, 12
Où l'on se sent le cœur trop seul, l'âme trop lasse, 12
Quel rafraîchissement de se voir dans la glace ! 12
Eau calme du miroir impossible à tarir ; 12
5 On s'y oublie ; on y dérive ; on y recule… 12
Oh ! s'en aller dans le miroir réfrigérant 12
Périr un peu comme en une eau de crépuscule, 12
Une eau stagnante, une eau sans but et sans courant 12
Où le visage nu sombre à la même place. 12
10 On se poursuit soi-même, on se cherche, on se perd 12
Dans le recul, dans la profondeur de la glace ; 12
On s'y découvre encor, mais comme recouvert 12
D'une eau vaste et sans fin, à peine transparente, 12
Qui fait que l'on se voit, mais pâle et tout changé : 12
15 Visage qu'on aura malade ou très âgé, 12
Visage tout simplifié qui s'apparente, 12
Silencieux, avec celui qu'on aura mort… 12
Le soir de plus en plus en submerge l'image 12
Et l'enfonce comme une lune qui surnage, 12
20 Et l'affaiblit comme les sons mourants d'un cor. 12
Visage en fuite et que toute l'ombre macule, 12
Visage qui déjà se semble avoir fini 12
D'aller jusqu'à l'enlisement dans l'infini. 12
Ô ce jeu du miroir où soi-même on s'annule ! 12
logo du CRISCO logo de l'université