Métrique en Ligne
ROD_2/ROD121
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
LE SOIR DANS LES VITRES
IV
La chambre triste et lasse est enfin résignée 12
Et s'abandonne au soir qui, sournois, s'insinue : 12
La chambre a l'air plus grande, a l'air aussi plus nue ; 12
L'ombre a tissé ses fils de toile d'araignée 12
5 Dans les angles, d'abord plus obscurs, du plafond. 12
Elle fane les étoffes, elle les fonce ; 12
Dans le miroir blêmi, les reflets se défont 12
Comme d'une Ophélie en larmes qui s'enfonce ; 12
Et les plis des rideaux ressemblent aux ornières 12
10 Très profondes des vieux chemins d'un vieux pays. 12
Le soir s'amasse, ayant la crainte des lumières, 12
Autour du lustre et des lampes, surtout haïs, 12
Qui méditent déjà de faire saigner l'Ombre. 12
Tout s'élague dans les ténèbres grandissantes ; 12
15 Un bouquet riait là, mais il s'efface et sombre 12
Et, dans l'obscurité, les fleurs sont comme absentes ; 12
Les bronzes nus ont des gestes découragés ; 12
Les vieux portraits d'aïeuls, ceux des aïeules feues, 12
S'assombrissent, ont des visages plus âgés, 12
20 Et du crêpe a couvert leurs fanfreluches bleues. 12
La chambre est tout entière en proie au soir ; et c'est 12
Comme si tout à coup la chambre vieillissait. 12
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