Métrique en Ligne
ROD_2/ROD109
Georges RODENBACH
Les Vies Encloses
1896
AQUARIUM MENTAL
III
Ophélie a laissé sombrer à pic ses nattes 12
Qui se sont peu à peu tout à fait dénouées ; 12
Ses yeux ouverts sur l'eau sont comme deux stigmates ; 12
Ses mains pâles sont si tristement échouées ; 12
5 Pourtant elle sourit, sentant sur son épaule 12
Ruisseler tout à coup sa chevelure immense, 12
Qui la fait ressembler au mirage d'un saule. 12
«Suis-je ou ne suis-je pas ?» a songé sa démence… 12
Les cheveux d'Ophélie envahissent l'eau grise, 12
10 Tumulte inextricable où sa tête s'est prise ; 12
Est-ce le lin d'un champ, est-ce sa chevelure, 12
L'embrouillamini vert qui rouit autour d'elle ? 12
Ophélie étonnée a tâché de conclure : 12
«Suis-je ou ne suis-je pas ?», songe-t-elle, fidèle 12
15 Au souvenir des mots d'Hamlet, seigneur volage. 12
Ses cheveux maintenant se nouent comme un feuillage 12
Qui jusqu'au bout de l'eau, sans fin, se ramifie. 12
Ophélie est trop morte, elle se liquéfie… 12
Les bagues ont quitté ses mains devenant nulles ; 12
20 Ses derniers pleurs à la surface font des bulles ; 12
Ses beaux yeux, délogés des chairs qui sont finies, 12
Survivent seuls, au fond, comme deux actinies. 12
Et ses cheveux verdis, dont la masse persiste 12
Dans les herbes aquatiques qui leur ressemblent, 12
25 Sont si dénaturés d'avoir trempé qu'ils semblent 12
Un fouillis végétal issu de cette eau triste. 12
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