Métrique en Ligne
ROD_1/ROD93
Georges RODENBACH
Le Règne Du Silence
1891
DU SILENCE
XIII
Dans l'étang d'un grand cœur quand la douleur s'épanche 12
Comme du soir, et met un tain d'ombre et de nuit 12
Sous la surface en fleur de cette eau longtemps blanche 12
Qui, durant le soleil et le bonheur enfui, 12
5 N'avait rien reflété que le songe des rives, 12
Alors l'étang du cœur se colore soudain 12
D'un mirage agrandi dans le noir des eaux vives 12
Arbres longs et mouillés d'un nocturne jardin, 12
Maisons se décalquant, étoiles délayées. 12
10 Tout se précise et se nuance maintenant 12
Dans ces routes de l'eau que le soir a frayées. 12
Et la douleur qui fait de l'âme un lac stagnant 12
La remplit de lueurs et de nobles pensées 12
Qui sont comme, dans l'eau, les branches balancées ; 12
15 Et la remplit aussi de grands rêves qui sont 12
Comme, dans l'eau, les tours se mirant jusqu'au fond. 12
Or parmi cette eau morte et pourtant animée 12
Surnage ton visage, ô toi, l'unique aimée ! 12
Et ton visage blanc dans la lune sourit, 12
20 La lune de profil, la lune émaciée 12
— Ô la visionnaire, et la suppliciée ! — 12
Qui douloureusement dans l'eau froide périt ; 12
Car la douleur accrue éteint tous les mirages 12
Et des cygnes, nageant vers la face au halo, 12
25 Les cygnes noirs du désespoir, durs et sauvages, 12
Inexorablement la déchirent dans l'eau ! 12
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