Métrique en Ligne
ROD_1/ROD87
Georges RODENBACH
Le Règne Du Silence
1891
DU SILENCE
VII
La chambre avait un air mortuaire et fermé 12
Dans cette hôtellerie, en une ville morte, 12
Où nous avons vécu, ce divin soir de mai ! 12
Silencieusement se referma la porte, 12
5 Comme en peine de voir entrer notre bonheur. 12
Et nous allions à pas étouffés, pris de peur, 12
Comme on entre dans la chambre d'une malade… 12
Il flottait quelque chose encor d'une odeur fade 12
D'anciens bouquets mêlés jadis à des baisers 12
10 Et maintenant défunts en d'invisibles verres. 12
Et les sombres rideaux aux plis éternisés 12
Et les meubles d'un luxe âgé, froids et sévères, 12
Gardaient sur eux de la poussière en flocons noirs 12
Qui parmi l'autrefois des étoffes fanées 12
15 Mélancoliquement, depuis tant de longs soirs, 12
Avaient neigé du lent sablier des années ! 12
Chambre étrange : on eût dit qu'elle avait un secret 12
D'une chose très stricte et dont elle était lasse 12
D'avoir vu le mystère en fuite dans la glace ! … 12
20 Car notre amour faisait du mal à son regret. 12
Et même lorsque avec des mains presque dévotes 12
Tu vins frôler le vieux clavecin endormi, 12
Ce fut un chant si pâle et si dolent parmi 12
La solitude offerte au réveil des gavottes 12
25 Que tu tremblas comme au contact d'un clavier mort. 12
Et muets, nous sentions, dans cette chambre étrange 12
Avec qui notre joie était en désaccord, 12
L'hostilité d'un grand silence qu'on dérange ! 12
logo du CRISCO logo de l'université