Métrique en Ligne
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Georges RODENBACH
Le Règne Du Silence
1891
LA VIE DES CHAMBRES
VIII
L'obscurité, dans les chambres, le soir, est une 12
Irréconciliable apporteuse de craintes ; 12
En deuil, s'habillant d'ombre et de linges de lune, 12
Elle inquiète ; elle a de félines étreintes 12
5 Comme une eau des canaux traîtres où l'on se noie 12
L'obscurité, c'est la tueuse de la joie 12
Qui dépérit, bouquet de roses transitoires, 12
Quand elle y verse un peu de ses fioles noires. 12
L'obscurité s'installe avec le crépuscule ; 12
10 Elle descend dans l'âme aussi qui s'enténèbre ; 12
Sur le miroir heureux tombe un crêpe funèbre 12
La clarté, dirait-on, est blessée et recule 12
Vers la fenêtre où s'offre un linceul de dentelle. 12
L'ombre est un poison noir, d'une douceur mortelle ! 12
15 Et voici qu'on frémit d'on ne sait quoi… c'est l'heure 12
Où le vol libéré des âmes nous effleure ; 12
Ah ! Quel trouble ! Et les peurs, les peurs dominatrices 12
Dans les rideaux des lits agitant des fantômes ! 12
Et ces sachets du linge aux sensuels arômes ! 12
20 Et les lampes, là-bas, rouvrant leurs cicatrices, 12
Qui vont recommencer à faire saigner l'ombre ! 12
Mais l'ombre se défend contre les lampes frêles, 12
Épaississant dans les angles sa force sombre 12
— On écoute les moucherons griller leurs ailes… — 12
25 Et l'on soupçonne, à voir mourir les bestioles, 12
Que c'est l'obscurité qui se venge ainsi d'elles 12
Pour avoir aimé mieux que ses noires fioles 12
Le soleil qui revit dans les lampes fidèles ! 12
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