Métrique en Ligne
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Georges RODENBACH
Le Règne Du Silence
1891
LA VIE DES CHAMBRES
IV
Mon âme, tout ce long et triste après-midi, 12
A souffert de la mort d'un bouquet, imminente! 12
Il était, loin de moi, dans la chambre attenante 12
Où ma peur l'éloigna, déjà presque engourdi, 12
5 Bouquet dépérissant de fleurs qu'on croyait sauves 12
Encor pour tout un jour dans la pitié de l'eau, 12
Gloxinias de neige avec des galons mauves, 12
Bouquet qui dans la chambre éteignait son halo 12
Et se désargentait en ce soir de dimanche ! 12
10 Mon âme, tu souffris et tu t'ingénias 12
À voir ta vie, aussi fanée et qui se penche, 12
Agoniser avec ces doux gloxinias. 12
Or me cherchant moi-même en cette analogie 12
J'ai passé cette fin de journée à m'aigrir 12
15 Par le spectacle vain et la psychologie 12
Douloureuse des fleurs pâles qui vont mourir. 12
Triste vase : hôpital, froide alcôve de verre 12
Qu'un peu de vent, par la fenêtre ouverte, aère 12
Mais qui les fait mourir plus vite, en spasmes doux, 12
20 Les pauvres fleurs, dans l'eau vaine, qui sont phtisiques, 12
Répandant, comme en de brusques accès de toux, 12
Leurs corolles sur les tapis mélancoliques. 12
Douceur ! Mourir ainsi sans heurts, comme on s'endort, 12
Car les fleurs ne sont pas tristes devant la mort, 12
25 Et disparaître avec ce calme crépuscule 12
Qui d'un jaune rayon à peine s'acidule. 12
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