Métrique en Ligne
ROD_1/ROD37
Georges RODENBACH
Le Règne Du Silence
1891
PAYSAGES DE VILLE
V
En ces villes qu'attriste un chœur de girouettes, 12
Oiseaux de fer rêvant de fuir au haut des airs, 12
En des villes sans joie aux carrefours déserts 12
Où de rares passants, en grises silhouettes, 12
5 Se meuvent, balançant leur marche comme un glas, 12
On sent un froid silence uniforme qui plane ; 12
Si despotique, encor qu'il soit débile et las, 12
Qu'en lui tout cri se tait, que toute voix se fane, 12
Que même un bruit de pas déconcerte d'abord, 12
10 Que la moindre rumeur infinitésimale 12
Cause un trouble, paraît une chose anormale 12
Comme de rire auprès d'un malade qui dort. 12
Car le silence là vraiment s'atteste ! Il règne, 12
Il est impérieux, il est contagieux ; 12
15 Et le moins raffiné des passants s'en imprègne 12
Comme d'encens dans un endroit religieux. 12
Ah ! Ces villes, ce grand silence monotone 12
Qu'augmente un son de cloche en tombant de la tour ; 12
Ce silence si vaste et si froid qu'on s'étonne 12
20 De survivre soi-même au néant d'alentour 12
Et de ne pas céder à la mort qui délie… 12
L'eau s'en vint d'elle-même au-devant d'Ophélie. 12
Or le silence doux, dont l'eau nous circonvient, 12
Nous tente et nous entraîne à son tour dans des roses… 12
25 La ville est morte aussi… qu'est-ce qui nous retient ? 12
Et nous sentons vraiment comme l'ordre des choses ! 12
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