Métrique en Ligne
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Georges RODENBACH
Le Règne Du Silence
1891
PAYSAGES DE VILLE
IV
Dans quelque ville morte, au bord de l'eau, vivote 12
La tristesse de la vieillesse des maisons 12
À genoux dans l'eau froide et comme en oraisons ; 12
Car les vieilles maisons ont l'allure dévote, 12
5 Et, pour endurer mieux les chagrins qu'elles ont, 12
Égrènent les pieux carillons qui leur sont 12
Les grains de fer intermittents d'un grand rosaire. 12
Vieilles maisons, en deuil pour quelque anniversaire, 12
Et qui, tristes, avec leurs souvenirs divers, 12
10 N'accueillent plus qu'un peu de pauvres et de prêtres. 12
Ce pendant qu'autrefois, avant les durs hivers, 12
La jeunesse et l'amour riaient dans leurs fenêtres 12
Claires comme des yeux qui n'ont pas vu mourir ! 12
Mais, depuis lors, ces yeux des pensives demeures 12
15 Dans leurs vitres d'eau frêle ont senti dépérir 12
Tant de visages frais, tant de guirlandes d'heures 12
Qu'ils en ont maintenant la froideur de la mort ! 12
(Or mes yeux sont aussi les vitres condamnées 12
D'une maison en deuil du départ des années) 12
20 Et c'est pourquoi, du fond de ces lointains du nord, 12
Je me sens regardé par ces yeux sans envie 12
Qui ne se tournent plus du côté de la vie 12
Mais sont orientés du côté du tombeau… 12
Yeux des vieilles maisons dont mes yeux sont les frères, 12
25 Lassés depuis longtemps des bonheurs temporaires, 12
Yeux plus touchants près de mourir ! Regard plus beau 12
De ces maisons qu'on va détruire en des jours proches ! 12
Ô profanation ! Meurtres avec les pioches 12
Abattant les vieux murs de qui l'âge avait l'air 12
30 De devoir les défendre un peu contre ces crimes… 12
Mais bientôt entreront les marteaux unanimes 12
Dans les vieux murs, pourtant sacrés comme une chair 12
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