Métrique en Ligne
ROD_1/ROD22
Georges RODENBACH
Le Règne Du Silence
1891
LE CŒUR DE L'EAU
V
Dans le cadre précis du bassin d'eau dormante 12
Où gît l'eau nostalgique et qu'un regret tourmente, 12
Tout est gris-doux comme la fin d'un demi-deuil. 12
L'eau se dilate ; elle a des transparences d'œil, 12
5 Œil bénin, œil de femme où tout un ciel se rêve, 12
— Oh ! L'émoi de descendre en cet iris profond 12
Et dans cette prunelle où les nuages vont ! — 12
Mais l'ivresse de s'y rêver divin est brève 12
Car on se heurte vite aux si courtes parois, 12
10 Quand le cristal se brise en brusques désarrois 12
Et qu'un gouffre mortel, quoique exigu, succède 12
À tout cet infini qu'on supposait dans l'eau ! 12
Mensonge équivalent d'un œil cher, d'un œil beau 12
Qu'on voudrait habiter comme une source tiède 12
15 Où l'azur sans limite irait à l'infini. 12
Mais le voyage aussi dans cet œil n'est qu'un leurre, 12
Car derrière l'iris au cristal aplani 12
L'amour naïf, qui plonge au fond, soudain s'épeure, 12
Se heurte et se fait mal à la froideur du cœur, 12
20 Dont le néant si proche est une vasque étroite. 12
Et dire qu'on rêvait tout un ciel en langueur 12
Et pour s'y dorlotter des nuages de ouate. 12
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