Métrique en Ligne
RIM_4/RIM86
Arthur RIMBAUD
DERNIERS VERS
1872-1873
Mémoire
I
L’eau claire ; comme le sel des larmes d’enfance ; 12
L’assaut au soleil des blancheurs des corps de femmes ; 12
La soie, en foule et de lys pur des oriflammes 12
Sous les murs dont quelque pucelle eut la défense ; 12
5 L’ébat des anges ; − non… le courant d’or en marche, 12
Meut ses bras, noirs, et lourds, et frais surtout, d’herbe. Elle. 12
Sombre, ayant le ciel bleu pour ciel de lit, appelle 12
Pour rideaux l’ombre de la colline et de l’arche. 12
II
Eh ! l’humide carreau tend ses bouillons limpides ! 12
10 L’eau meuble d’or pâle et sans fond les couches prêtes. 12
Les robes vertes et déteintes des fillettes 12
Font les saules, d’où sautent les oiseaux sans brides. 12
Plus pure qu’un louis, jaune et chaude paupière 12
Le souci d’eau − ta foi conjugale, ô l’Épouse ! − 12
15 Au midi prompt, de son terne miroir, jalouse 12
Au ciel gris de chaleur la sphère rose et chère. 12
III
Madame se tient trop debout dans la prairie 12
Prochaine où neigent les fils du travail ; l’ombrelle 12
Aux doigts ; foulant l’ombelle ; trop fière pour elle 12
20 Des enfants lisant dans la verdure fleurie 12
Leur livre de maroquin rouge ! Hélas, Lui, comme 12
Mille anges blancs qui se séparent sur la route, 12
S’éloigne par delà la montagne ! Elle, toute 12
Froide, et noire, court ! après le départ de l’homme ! 12
IV
25 Regret des bras épais et jeunes d’herbe pure ! 12
Or des lunes d’avril au cœur du saint lit ! Joie 12
Des chantiers riverains à l’abandon, en proie 12
Aux soirs d’août qui faisaient germer ces pourritures ! 12
Qu’elle pleure à présent sous les remparts : l’haleine 12
30 Des peupliers d’en haut est pour la seule brise. 12
Puis, c’est la nappe, sans reflets, sans source, grise ― 12
Un vieux dragueur, dans sa barque immobile, peine. 12
V
Jouet de cet œil d’eau morne, je n’y puis prendre, 12
O canot immobile ! ô bras trop courts ! ni l’une 12
35 Ni l’autre fleur : ni la jaune qui m’importune, 12
Là ; ni la bleue, amis, à l’eau couleur de cendre. 12
Ah ! la poudre des saules qu’une aile secoue ! 12
Les roses des roseaux dès longtemps dévorées !… 12
Mon canot toujours fixe ; et sa chaîne tirée 12
40 Au fond de cet œil d’eau sans bords − à quelle boue ? 12
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