Métrique en Ligne
RIM_2/RIM36
Arthur RIMBAUD
POÉSIES II
1870-1872
Les Assis
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues 12
Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, 12
Le sinciput plaqué de hargnosités vagues 12
Comme les floraisons lépreuses des vieux murs, 12
5 Ils ont greffé dans des amours épileptiques 12
Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs 12
De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques 12
S’entrelacent pour les matins et pour les soirs. 12
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, 12
10 Sentant les soleils vifs percaliser leur peaux, 12
Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges, 12
Tremblant du tremblement douloureux des crapauds. 12
Et les Sièges leur ont des bontés ; culottée 12
De brun, la paille cède aux angles de leurs reins. 12
15 L’âme des vieux soleils s’allume, emmaillotée 12
Dans ces tresses d’épis où fermentaient les grains. 12
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, 12
Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour, 12
S’écoutent clapoter des barcarolles tristes 12
20 Et leurs caboches vont dans des roulis d’amour. 12
Oh ! ne les faites pas lever ! C’est le naufrage. 12
Ils surgissent, grondant comme des chats gifflés, 12
Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! 12
Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés. 12
25 Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves 12
Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors, 12
Et leurs boutons d’habit sont des prunelles fauves 12
Qui vous accrochent l’œil du fond des corridors ! 12
Puis ils ont une main invisible qui tue ; 12
30 Au retour, leur regard filtre ce venin noir 12
Qui charge l’œil souffrant de la chienne battue, 12
Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir. 12
Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales, 12
Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever, 12
35 Et de l’aurore au soir des grappes d’amygdales 12
Sous leurs mentons chétifs s’agitent à crever. 12
Quand l’austère sommeil a baissé leurs visières 12
Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés, 12
De vrais petits amours de chaises en lisières 12
40 Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés. 12
Des fleurs d’encre crachant des pollens en virgules, 12
Les bercent le long des calices accroupis, 12
Tels qu’au fil des glaïeuls le vol des libellules, 12
− Et leur membre s’agace à des barbes d'épis ! 12
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