Métrique en Ligne
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Arthur RIMBAUD
POÉSIES II
1870-1872
Ce qu'on dit au Poète à propos de fleurs
I
Ainsi, toujours, vers l'azur noir 8
Où tremble la mer des topazes, 8
Fonctionneront dans ton soir 8
Les Lys, ces clystères d'extases ! 8
5 À notre époque de sagous, 8
Quand les Plantes sont travailleuses, 8
Le Lys boira les bleus dégoûts 8
Dans tes Proses religieuses ! 8
— Le lys de monsieur de Kerdrel, 8
10 Le Sonnet de mil huit cent trente, 8
Le Lys qu'on donne au Ménestrel 8
Avec l'œillet et l'amarante ! 8
Des lys ! Des lys ! On n'en voit pas ! 8
Et dans ton Vers, tel que les manches 8
15 Des Pécheresses aux doux pas, 8
Toujours frissonnent ces fleurs blanches ! 8
Toujours, Cher, quand tu prends un bain, 8
Ta Chemise aux aisselles blondes 8
Se gonfle aux brises du matin 8
20 Sur les myosotis immondes ! 8
L'amour ne passe à tes octrois 8
Que les Lilas, — ô balançoires ! 8
Et les Violettes du Bois, 8
Crachats sucrés des Nymphes noires !… 8
II
25 Ô Poètes, quand vous auriez 8
Les Roses, les Roses soufflées, 8
Rouges sur tiges de lauriers, 8
Et de mille octaves enflées ! 8
Quand BANVILLE en ferait neiger, 8
30 Sanguinolentes, tournoyantes, 8
Pochant l'œil fou de l'étranger 8
Aux lectures mal bienveillantes ! 8
De vos forêts et de vos prés, 8
Ô très paisibles photographes ! 8
35 La Flore est diverse à peu près 8
Comme des bouchons de carafes ! 8
Toujours les végétaux Français, 8
Hargneux, phtisiques, ridicules, 8
Où le ventre des chiens bassets 8
40 Navigue en paix, aux crépuscules ; 8
Toujours, après d'affreux desseins 8
De Lotos bleus ou d'Hélianthes, 8
Estampes roses, sujets saints 8
Pour de jeunes communiantes ! 8
45 L'Ode Açoka cadre avec la 8
Strophe en fenêtre de lorette ; 8
Et de lourds papillons d'éclat 8
Fientent sur la Pâquerette. 8
Vieilles verdures, vieux galons ! 8
50 Ô croquignoles végétales ! 8
Fleurs fantasques des vieux Salons ! 8
— Aux hannetons, pas aux crotales, 8
Ces poupards végétaux en pleurs 8
Que Grandville eût mis aux lisières, 8
55 Et qu'allaitèrent de couleurs 8
De méchants astres à visières ! 8
Oui, vos bavures de pipeaux 8
Font de précieuses glucoses ! 8
— Tas d'œufs frits dans de vieux chapeaux, 8
60 Lys, Açokas, Lilas et Roses !… 8
III
Ô blanc Chasseur, qui cours sans bas 8
À travers le Pâtis panique, 8
Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas 8
Connaître un peu ta botanique ? 8
65 Tu ferais succéder, je crains, 8
Aux Grillons roux les Cantharides, 8
L'or des Rios au bleu des Rhins, 8
Bref, aux Norwèges les Florides : 8
Mais, Cher, l'Art n'est plus, maintenant, 8
70 — C'est la vérité, — de permettre 8
À l'Eucalyptus étonnant 8
Des constrictors d'un hexamètre ; 8
Là !… Comme si les Acajous 8
Ne servaient, même en nos Guyanes, 8
75 Qu'aux cascades des sapajous, 8
Au lourd délire des lianes ! 8
— En somme, une Fleur, Romarin 8
Ou Lys, vive ou morte, vaut-elle 8
Un excrément d'oiseau marin ? 8
80 Vaut-elle un seul pleur de chandelle ? 8
— Et j'ai dit ce que je voulais ! 8
Toi, même assis là-bas, dans une 8
Cabane de bambous, — volets 8
Clos, tentures de perse brune, — 8
85 Tu torcherais des floraisons 8
Dignes d'Oises extravagantes !… 8
— Poète ! ce sont des raisons 8
Non moins risibles qu'arrogantes !… 8
IV
Dis, non les pampas printaniers 8
90 Noirs d'épouvantables révoltes, 8
Mais les tabacs, les cotonniers ! 8
Dis les exotiques récoltes ! 8
Dis, front blanc que Phébus tanna, 8
De combien de dollars se rente 8
95 Pedro Velasquez, Habana ; 8
Incague la mer de Sorrente 8
Où vont les Cygnes par milliers ; 8
Que tes strophes soient des réclames 8
Pour l'abatis des mangliers 8
100 Fouillés des hydres et des lames ! 8
Ton quatrain plonge aux bois sanglants 8
Et revient proposer aux Hommes 8
Divers sujets de sucres blancs, 8
De pectoraires et de gommes ! 8
105 Sachons par Toi si les blondeurs 8
Des Pics neigeux, vers les Tropiques, 8
Sont ou des insectes pondeurs 8
Ou des lichens microscopiques ! 8
Trouve, ô Chasseur, nous le voulons, 8
110 Quelques garances parfumées 8
Que la Nature en pantalons 8
Fasse éclore ! — pour nos Armées ! 8
Trouve, aux abords du Bois qui dort, 8
Les fleurs, pareilles à des mufles, 8
115 D'où bavent des pommades d'or 8
Sur les cheveux sombres des Buffles ! 8
Trouve, aux prés fous, où sur le Bleu 8
Tremble l'argent des pubescences, 8
Des calices pleins d'Œufs de feu 8
120 Qui cuisent parmi les essences ! 8
Trouve des Chardons cotonneux 8
Dont dix ânes aux yeux de braises 8
Travaillent à filer les nœuds ! 8
Trouve des Fleurs qui soient des chaises ! 8
125 Oui, trouve au cœur des noirs filons 8
Des fleurs presque pierres, — fameuses ! — 8
Qui vers leurs durs ovaires blonds 8
Aient des amygdales gemmeuses ! 8
Sers-nous, ô Farceur, tu le peux, 8
130 Sur un plat de vermeil splendide 8
Des ragoûts de Lys sirupeux 8
Mordant nos cuillers Alfénide ! 8
V
Quelqu'un dira le grand Amour, 8
Voleur des sombres Indulgences : 8
135 Mais ni Renan, ni le chat Murr 8
N'ont vu les Bleus Thyrses immenses ! 8
Toi, fais jouer dans nos torpeurs, 8
Par les parfums les hystéries ; 8
Exalte-nous vers les candeurs 8
140 Plus candides que les Maries… 8
Commerçant ! colon ! médium ! 8
Ta Rime sourdra, rose ou blanche, 8
Comme un rayon de sodium, 8
Comme un caoutchouc qui s'épanche ! 8
145 De tes noirs Poèmes, — Jongleur ! 8
Blancs, verts, et rouges dioptriques, 8
Que s'évadent d'étranges fleurs 8
Et des papillons électriques ! 8
Voilà ! c'est le Siècle d'enfer ! 8
150 Et les poteaux télégraphiques 8
Vont orner, — lyre aux chants de fer, 8
Tes omoplates magnifiques ! 8
Surtout, rime une version 8
Sur le mal des pommes de terre ! 8
155 — Et, pour la composition 8
De poèmes pleins de mystère 8
Qu'on doive lire de Tréguier 8
À Paramaribo, rachète 8
Des Tomes de Monsieur Figuier, 8
160 — Illustrés ! — chez Monsieur Hachette ! 8
ALCIDE BAVA.
A. R.
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