Métrique en Ligne
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Arthur RIMBAUD
POÉSIES II
1870-1872
Les Poètes de sept ans
À M. P. Demeny
Et la Mère, fermant le livre du devoir, 12
S’en allait satisfaite et très fière sans voir, 12
Dans les yeux bleus et sous le front plein d’éminences, 12
L’âme de son enfant livrée aux répugnances. 12
5 Tout le jour il suait d’obéissance ; très 12
Intelligent ; pourtant des tics noirs, quelques traits, 12
Semblaient prouver en lui d’âcres hypocrisies. 12
Dans l’ombre des couloirs aux tentures moisies, 12
En passant il tirait la langue, les deux poings 12
10 A l’aine, et dans ses yeux fermés voyait des points. 12
Une porte s’ouvrait sur le soir ; à la lampe 12
On le voyait, là-haut, qui râlait sur la rampe, 12
Sous un golfe de jour pendant du toit. L’été 12
Surtout, vaincu, stupide, il était entêté 12
15 A se renfermer dans la fraîcheur des latrines : 12
Il pensait là, tranquille et livrant ses narines. 12
Quand, lavé des odeurs du jour, le jardinet 12
Derrière la maison, en hiver, s’illunait, 12
Gisant au pied d’un mur, enterré dans la marne 12
20 Et pour des visions écrasant son œil darne, 12
Il écoutait grouiller les galeux espaliers. 12
Pitié ! Ces enfants seuls étaient ses familiers 12
Qui, chétifs, fronts nus, œil déteignant sur la joue, 12
Cachant de maigres doigts jaunes et noirs de boue, 12
25 Sous des habits puant la foire et tout vieillots, 12
Conversaient avec la douceur des idiots ! 12
Et si, l’ayant surpris à des pitiés immondes, 12
Sa mère s’effrayait ; les tendresses profondes, 12
De l’enfant se jetaient sur cet étonnement. 12
30 C’était bon. Elle avait le bleu regard, − qui ment ! 12
A sept ans, il faisait des romans, sur la vie 12
Du grand désert, où luit la Liberté ravie, 12
Forêts, soleils, rios, savanes ! − Il s’aidait 12
De journaux illustrés où, rouge, il regardait 12
35 Des Espagnoles rire et des Italiennes. 12
Quand venait, l’œil brun, folle, en robes d’indiennes, 12
− Huit ans, − la fille des ouvriers d’à côté, 12
La petite brutale, et qu’elle avait sauté, 12
Dans un coin, sur son dos, en secouant ses tresses, 12
40 Et qu’il était sous elle, il lui mordait les fesses, 12
Car elle ne portait jamais de pantalons ; 12
− Et, par elle meurtri des poings et des talons 12
Remportait les saveurs de sa peau dans sa chambre, 12
Il craignait les blafards dimanches de décembre, 12
45 Où, pommadé, sur un guéridon d’acajou, 12
Il lisait une Bible à la tranche vert-chou ; 12
Des rêves l’oppressaient chaque nuit dans l’alcôve. 12
Il n’aimait pas Dieu ; mais les hommes, qu’au soir fauve, 12
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg 12
50 Où les crieurs, en trois roulements de tambour 12
Font autour des édits rire et gronder les foules. 12
− Il rêvait la prairie amoureuse, où des houles 12
Lumineuses, parfums sains, pubescence d’or, 12
Font leur remuement calme et prennent leur essor ! 12
55 Et comme il savourait surtout les sombres choses, 12
Quand, dans la chambre nue aux persiennes closes, 12
Haute et bleue, âcrement prise d’humidité, 12
Il lisait son roman sans cesse médité, 12
Plein de lourds ciels ocreux et de forêts noyées, 12
60 De fleurs de chair aux bois sidérals déployées, 12
Vertige, écroulements, déroutes et pitié ! 12
− Tandis que se faisait la rumeur du quartier, 12
En bas, − seul, et couché sur des pièces de toile 12
Écrue, et pressentant violemment la voile ! 12
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