Métrique en Ligne
RIC_3/RIC354
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
FINALE
I
GALETS SÉCHÉS
Ô vers, vous trompez mon attente. 8
La couleur la plus éclatante, 8
Les mots les plus phosphorescents, 8
Demeurent froids, pâles et vagues, 8
5 Lorsque je les compare aux vagues 8
Qu’ils ont peintes, ces impuissants ! 8
Et pourtant j’y mis toute l’âme, 8
Et la patience, et la flamme. 8
Et la main d’un bon ouvrier. 8
10 J’ai commencé le cœur en fête. 8
Maintenant, la besogne faite, 8
Je m’en veux à m’injurier. 8
Pauvre fou, sertisseur de rimes, 8
C’est vainement que tu t’escrimes 8
15 Dans ce long duel contre la mer. 9
Tes vocables et leur tapage, 8
Dans ta cervelle et sur ta page 8
Ça n’a plus du tout le même air. 8
Ainsi, quand s’en va la marée, 8
20 Sur la plage humide et moirée 8
De tons bleus, verts, blancs, violets, 8
Jaunes, roses, l’on voit éclore 8
En parterre multicolore, 8
Dans l’or du sable, les galets. 8
25 L’eau qui les mouille encor par place 8
Y brille, y miroite, les glace 8
De son resplendissant vernis. 8
Tiennent le soleil et la brise ! 8
Ils sèchent. Sur l’arène grise 8
30 S’éteignent les cailloux ternis. 8
Ainsi mes plus claires idées 8
Ont des nuances décidées 8
Quand le songe y met son cristal ; 8
Mais le cristal se vaporise 8
35 Au premier souffle de la brise, 8
Au soleil du papier brutal ; 8
Et mes pensers, mes vœux, mes rêves, 8
Étincelants de lueurs brèves 8
Tout à l’heure, à présent sont gris. 8
40 L’inspiration diaphane 8
Les mouillait, s’en va ; tout se fane. 8
Galets séchés et vers écrits ! 8
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