Métrique en Ligne
RIC_3/RIC352
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
LES GRANDES CHANSONS
VII
LA GLOIRE DE L’EAU
Hélas ! nous aurions beau dans cet hymne superbe 12
Allumer tous les feux des diamants du verbe, 12
Y brûler tout l’encens de tous ses encensoirs, 12
Y prodiguer les fleurs des matins et des soirs, 12
5 Y mêler tous les bruits avec tous les murmures, 12
Depuis les sons furtifs glissant sous les ramures 12
Qui se content tout bas des contes divaguants, 12
Jusqu’aux rugissements rauques des ouragans, 12
Y faire s’envoler sur l’aile du vocable 12
10 L’ode expliquant dans un éclair l’inexplicable, 12
Y fondre en symphonie aux magiques accords 12
Tous les soupirs de l’âme et tous les cris du corps, 12
Tout ce qui vibre enfin, et palpite, et s’exprime 12
Aux incantations du rhythme et de la rime, 12
15 Ô mer, nous aurions beau de cet hymne savant 12
Enfler l’orchestre avec tous les cuivres du vent, 12
Les cors des brises, les buccins aquilonaires, 12
Et les tambours et les cymbales des tonnerres, 12
Et les hautbois des bois, les flûtes des vallons, 12
20 Les harpes de l’espace, et tous les violons 12
Qu’un invisible archet fait pleurer sur les grèves, 12
Ô mer, nous aurions beau dans le plus fou des rêves 12
Avec tout le possible et l’impossible aussi 12
Essayer à pleins cœurs de te chanter ainsi, 12
25 Ô mer, mer, tout cela ne dirait pas encore 12
Ni ta grandeur, ni la grâce qui la décore, 12
Ni cette majesté qui nous jette à genoux. 12
Ni tes bontés sans fin qui fleurissent en nous. 12
Oh ! que chacun plutôt te chante en son langage 12
30 Et t’offre à sa façon ses vœux dont l’humble gage 12
Témoigne seulement de sa sincérité ! 12
Aucun de tes enfants n’aura démérité, 12
Quelle que soit sa voix obscure et vagissante, 12
Pourvu qu’au plus profond de lui-même il te sente, 12
35 Et pourvu qu’il le dise, homme, simple animal, 12
Même plante, mais qu’il le dise, bien ou mal. 12
Pour moi, mettant ici tout ce que j’ai pu mettre, 12
Domptant l’âpre science aux souplesses du mètre, 12
Laissant sonner aussi la lyre en liberté, 12
40 L’amour que je te dois, ô mer, je l’ai chanté 12
Avec toute ma force et ma reconnaissance, 12
J’ai chanté tes beaux flancs où nous prîmes naissance, 12
Tes flancs toujours féconds et la gloire de l’eau, 12
Et, près de pendre sur ton autel ce tableau 12
45 En ex-voto pieux prouvant ma foi fervente, 12
Si mon indignité devant toi m’épouvante, 12
J’ai pour rendre la paix à mon cœur anxieux 12
La consolation d’avoir fait de mon mieux 12
Et d’avoir mis ma lèvre en m’abîmant en elle 12
50 Aux seins inépuisés de l’Isis éternelle. 12
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