Métrique en Ligne
RIC_3/RIC344
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
LES GRANDES CHANSONS
VII
LA GLOIRE DE L’EAU
Béni soit le gouffre amer 7
De la mer ! 3
Louange à la vase immonde 7
Qu’elle fut au jour premier. 7
5 Saint fumier 3
D’où sort en fleurs notre monde ! 7
Longtemps le globe avait dû, 7
Bloc fondu 3
Gros de vapeurs et d’effluves, 7
10 N’avoir pour forme et pour but 7
Que le rut 3
Des Etnas et des Vésuves. 7
Longtemps l’orbe aérien 7
Ne fut rien 3
15 Sur ces laves refroidies 7
Qu’un tas de gaz allumé 7
Consumé 3
Par ses propres incendies. 7
Seul le minéral pouvait, 7
20 Pour chevet 3
Où reposer à son aise, 7
Prendre ces débris craquants 7
De volcans 3
À l’haleine de fournaise. 7
25 Seuls, buvant l’air sulfureux 7
Fait pour eux, 3
Les rocs monstrueux et chauves 7
Montraient dans ces entonnoirs 7
Leurs nez noirs 3
30 Comme des mufles de fauves. 7
Mais sous les feux dévorants, 7
Aux torrents 3
De fracas et d’épouvante, 7
Ne pouvait s’organiser 7
35 Le baiser 3
De la cellule vivante. 7
Enfin, deux gaz en un point 7
Ont rejoint 3
Leur fraternelle accordance, 7
40 Et dans ces brouillards de poix 7
Par son poids 3
Voici l’eau qui se condense. 7
C’est un nuage flottant 7
Qui s’étend. 3
45 L’atmosphère se contracte. 7
Puis, d’un flux torrentiel, 7
Choit du ciel 3
Une averse en cataracte. 7
Longtemps, longtemps, au toucher 7
50 Du rocher 3
Plein de feu dans chaque pore, 7
L’eau qui tombe, au même instant 7
Remontant, 3
En poussière s’évapore 7
55 Mais, en remontant aussi, 7
Épaissi 3
Son corps se reforme en nue, 7
Et du vaste réservoir 7
À pleuvoir 3
60 Sans trêve elle continue. 7
Longtemps, longtemps, très longtemps, 7
Combattants 3
Aux renaissantes menaces, 7
L’eau plus forte peu à peu 7
65 Et le feu 3
Luttèrent ainsi, tenaces. 7
Mais le brûlant séraphin 7
Dut enfin 3
Éteindre les étincelles 7
70 De ses rouges étendards 7
Sous les dards 3
De l’archange aux froides ailes ; 7
Et l’archange, se couchant 7
Sur ce champ 3
75 De victoire et de bataille, 7
De son corps fluide emplit 7
Ce grand lit, 3
Ce grand lit fait à sa taille. 7
C’est la mer, la mer sans bord. 7
80 Qui d’abord 3
Recouvrit toute la terre, 7
L’onde aux flots universels 7
Où les sels 3
S’accouplaient dans le mystère. 7
85 C’est au fond de ce creuset 7
Que cuisait 3
En bouillonnements funèbres 7
L’être inconscient encor 7
De l’essor 3
90 Sous un chaos de ténèbres. 7
Parmi les débris fumants 7
D’éléments 3
Amalgamés par la flamme, 7
Aux atomes qu’elle unit 7
95 Dans son nid 3
C’est elle qui donna l’âme. 7
C’est en elle, dans ses flots, 7
Qu’est éclos 3
L’amour commençant son ère 7
100 Par l’obscur protoplasma 7
Qui forma 3
La cellule et la monère. 7
Béni soit le gouffre amer 7
De la mer ! 3
105 Louange à la vase immonde 7
Qu’elle fut au jour premier, 7
Saint fumier 3
D’où sort en fleurs notre monde 7
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