Métrique en Ligne
RIC_3/RIC301
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
LES GAS
XII
L'HARENG SAUR
Ne rougis pas de ta carcasse, 8
Toi, vieux, qu’on nomme l’hareng saur. 8
Garde ce sobriquet cocasse 8
Comme un trésor. 4
5 Laisse rire ces bons apôtres. 8
Nos beaux messieurs à tralala. 8
Car tu n’es pas si laid qu’eux autres. 8
Bien loin de là ! 4
Ils font les fiers avec leur mine. 8
10 Mais c’est l’astiquage qui rend 8
Leur corps aussi blanc qu’une hermine 8
Et transparent. 4
Tous les jours avec de l’eau douce 8
Ils se lavent au saut du lit 8
15 À force de savon qui mousse 8
Et qui polit. 4
Ils ont la peau comme une espèce 8
De baudruche passée au lard. 8
J’aime mieux ta basane épaisse 8
20 Comme un prélart. 4
Car c’est avant tout la chlorose 8
Qui donne à leur teint ce reflet 8
Et fait ces pétales de rose 8
Trempés de lait. 4
25 Toi, que ton cuir soit propre ou sale, 8
Qu’importe ! Il est d’un fameux grain, 8
Il se tanne au soleil, se sale 8
Dans le poudrain, 4
Se culotte aux souffles du large, 8
30 Se cuit même dans ton sommeil ; 8
Mais dessous court au pas de charge 8
Un sang vermeil. 4
Et tout cela, mon camarade, 8
Hâlé, fumé, roux, fauve, brun. 8
35 Le soleil, l’eau, l’air de la rade, 8
Le vent, l’embrun, 4
Tout cela se fond et s’arrange 8
Avec la patine des ans 8
En un riche métal étrange 8
40 Aux tons luisants ; 4
Et, dressé sur ton col robuste, 8
Ton vieux museau de mathurin 8
Resplendit pour moi comme un buste 8
D’or et d’airain. 4
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