Métrique en Ligne
RIC_3/RIC278
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
MARINES
XXII
LE PÉTREL
Sur les landes désolées, 7
Avant-coureurs d’ouragans 7
Passent en brusques volées 7
Des souffles extravagants 7
5 Où les feuilles envolées 7
Dansent des farandolées 7
En caprices zigzaguants. 7
D’étain gris la mer se broche. 7
Au fond rentre le poisson. 7
10 L’oiseau retourne à sa roche. 7
Une lueur de glaçon 7
Aux crêtes des flots s’accroche. 7
Et partout de proche en proche 7
Court un étrange frisson. 7
15 Tout à coup, un grand silence ! 7
Plus rien au vert promenoir. 7
Dans l’azur un fer de lance 7
Creuse un sinistre entonnoir. 7
Le pétrel alors s’élance, 7
20 Crie, un moment se balance, 7
Puis cingle droit au trou noir. 7
Seul dans l’étendue immense 7
Il aime à humer ce vent. 7
Il en a l’accoutumance. 7
25 Il l’appelle en le bravant. 7
Et la bataille commence 7
Entre l’orage en démence 7
Et lui qui vole au devant. 7
L’orage comme une boule 7
30 Le roule sans le saisir. 7
Dans ses doigts il glisse, il coule, 7
Il passe, il joue à loisir ; 7
Et de la céleste houle, 7
D’espace, d’air, il se soûle, 7
35 Le bec claquant de plaisir. 7
Ô pétrel, loin du rivage 7
Où nous gisons dans la paix, 7
Loin de ce lâche esclavage, 7
Loin de ce sommeil épais, 7
40 Nous que le repos ravage, 7
Emporte-nous donc, sauvage 7
Qui d’ouragans te repais. 7
À ton âme fraternelle 7
Vont nos âmes de démons. 7
45 Nous nous sentons vivre en elle. 7
Ô farouche, nous t’aimons. 7
Il faut à nos cœurs ton aile, 7
L’éclair à notre prunelle, 7
Et l’orage à nos poumons. 7
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