Métrique en Ligne
RIC_3/RIC276
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
MARINES
XX
EFFET DE NEIGE
Dans la mer au bleu plombé 7
Le ciel blafard est tombé. 7
Aucun vent ! Même une plume 7
Ne se tiendrait pas en l’air. 7
5 Et pas un seul rayon clair 7
Sur tout ce gris ne s’allume. 7
Soudain plane en voltigeant 7
Comme un papillon d’argent, 7
L’envergure grande ouverte. 7
10 Cet argent sur ces étains 7
Réveille les tons éteints 7
De l’eau qui redevient verte. 7
Après lui d’autres, lents, lourds, 7
Au corset de blanc velours, 7
15 Aux ailes d’hermine blanche, 7
Un, cent, mille, millions, 7
Tourbillon de papillons, 7
Papillons en avalanche. 7
C’est la neige doucement 7
20 Qui croule du firmament. 7
Elle y dormait paresseuse 7
Sur le nid qu’elle couvait. 7
Et sans bruit son fin duvet 7
Descend dans l’onde mousseuse. 7
25 Les flocons mêlant leurs nœuds 7
Font le ciel jaune et laineux ; 7
Mais la mer est purpurine 7
Et scintille par-dessous 7
Comme de l’éclat dissous 7
30 Jailli d’une aube marine. 7
Ténébreux est le plafond ; 7
Mais en bas l’ombre se fond 7
Aux feux de cette aube étrange 7
D’où la lumière à présent 7
35 Monte et fuse en s’irisant 7
Sur ce coton qui s’effrange. 7
Quel jour bizarre ! On dirait 7
Qu’on est au pays secret 7
Inconnu même des rennes, 7
40 Où l’effluve sans chaleur 7
Colore seul la pâleur 7
Des nuits hyperboréennes. 7
Dans l’air obscur et glacé 7
Voici qu’un vol a passé, 7
45 Oiseaux du nord, lummes, grèbes, 7
Dont les bras battant les flancs 7
Sèment tous ces œillets blancs 7
Cueillis dans les blancs Érèbes. 7
Oui, c’est le pôle ! On s’y croit. 7
50 L’enfer sombre, l’enfer froid. 7
Aux aurores magnétiques. 7
L’enfer blême où l’on attend 7
Les banquises cahotant 7
Leurs défilés fantastiques ; 7
55 Car sous ce voile épaissi 7
Il semble qu’on voie aussi. 7
Comme aux horizons polaires 7
Voguer sur l’écran des cieux 7
Les glaçons silencieux 7
60 En flottes crépusculaires. 7
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