Métrique en Ligne
RIC_3/RIC274
Jean RICHEPIN
LA MER
1894
MARINES
XVIII
VENTÔSE
Hop ! hop ! En avant ! Au large ! 7
En tumultueux galops, 7
Hop ! voici venir la charge, 7
Hop ! hop ! la charge des flots. 7
5 Où vont-ils ? Hop ! hop ! Qu’importe ! 7
Ils vont, la crinière au vent. 7
Une rage les emporte. 7
Au large ! Hop ! En avant ! 7
Ils vont, sans ordre, par troupes 7
10 Qui pêle-mêlent leurs bonds. 7
Les poitrails, heurtant les croupes, 7
Les saillissent, furibonds. 7
Ils vont, les naseaux en fièvres, 7
Cabrés, ronflant, hennissant. 7
15 Hop ! ils vont, l’écume aux lèvres, 7
Hop ! hop ! l’œil phosphorescent. 7
Ils vont, Hop ! Charge macabre 7
Qui charge sans savoir où. 7
Hop ! hop ! Tout un rang se cabre, 7
20 Puis s’engloutit dans un trou. 7
Hop ! hop ! La mer est jonchée 7
De cadavres pantelants 7
Où l’ardente chevauchée 7
Précipite ses élans. 7
25 Ils vont. Hop ! Les lames vertes 7
S’éparpillant par lambeaux 7
Ont l’air d’entrailles ouvertes 7
Que dévident leurs sabots. 7
Hop ! Ils sont fous, ils sont ivres. 7
30 Encor ! Hop ! Des pieds, des dents ! 7
Hop ! hop ! En avant ! Les cuivres 7
Poussent des appels stridents. 7
Hop ! hop ! En avant ! Au large ! 7
Ils sont ivres, ils sont fous. 7
35 Hop ! Entendez-vous ? La charge 7
Sonne, sonne. Entendez-vous ? 7
Hop ! hop ! Leur course s’effare. 7
Hop ! Ils vont à corps perdu. 7
Hop ! hop ! Là-haut la fanfare 7
40 Sonne. Avez-vous entendu ? 7
Hop ! Ce qui gonfle leur rage, 7
C’est la charge qu’en passant 7
Les sorcières de l’orage 7
Sonnent d’un accent perçant. 7
45 Hop ! hop ! Les vieilles farouches 7
Avec des gestes hideux 7
En sonnant à pleines bouches 7
Gambadent au-dessus d’eux. 7
On voit flotter par les nues 7
50 Les fouets de leurs cheveux blancs, 7
Et de leurs mamelles nues 7
Les bouts claquent sur leurs flancs. 7
Hop ! hop ! hop ! Quand l’une éclate 7
De rire, c’est un éclair. 7
55 Hop ! C’est leur sexe écarlate 7
Qui, béant, saigne dans l’air. 7
Hop ! hop ! Ce rouge s’éclipse. 7
Tout s’éteint. Le gouffre noir 7
En buccin d’Apocalypse 7
60 Élargit son entonnoir. 7
Il en pleut des cris funèbres, 7
Des plaintes, des hurlements, 7
Du tonnerre et des ténèbres 7
Au chaos des éléments ; 7
65 Et dans cette ombre inconnue 7
On ne voit plus que les flots 7
Dont la horde continue 7
Ses effroyables galops ; 7
Et dans la clameur compacte 7
70 Au fracas tonitruant 7
Que fait cette cataracte 7
Sur soi-même se ruant, 7
On entend les vieilles gueuses 7
Voler comme des oiseaux 7
75 En sarabandes fougueuses 7
Où cliquètent tous leurs os, 7
Cependant que la tempête 7
Pour animer ces démons 7
Leur souffle dans sa trompette 7
80 Tout le vent de ses poumons. 7
logo du CRISCO logo de l'université