Métrique en Ligne
RIC_2/RIC240
Jean RICHEPIN
LES CARESSES
1877
NIVÔSE
XXX
AU COIN DU FEU
Rappelle-toi le mois d'antan qu'il fit si froid ! 12
Tout le monde a souffert de ce cruel décembre. 12
Notre amour cependant y vécut comme un roi, 12
Tant son large soleil chauffa bien notre chambre. 12
5 Nous nous moquions du froid et du temps qu'il faisait, 12
Ayant capitonné de baisers notre geôle. 12
Au feu de notre cœur plus rouge qu'un creuset 12
Nous aurions fait flamber les banquises du pôle. 12
Parfois nous regardions les floraisons du gel 12
10 Au jardin de la vitre où croît l'arbre du givre. 12
Tout était blanc dehors, les champs, les toits, le ciel. 12
Rien qu'à voir ce linceul, nous nous sentions mieux vivre. 12
Bougonnant, se mouchant, toussant, crachant, couvert 12
D'un grand feutre de neige avec des plumes grises, 12
15 Parmi les aboîments des dogues de l'hiver 12
Du pays de l'onglée arrivait Jean-des-Bises. 12
Mais nous faisions la nique à ses cheveux poudrés ; 12
Et quand à la fenêtre il nous jetait sa laine, 12
Nous lui disions : « Entrez, vieux gueux, quand vous voudrez ! 12
20 Votre nez de glaçons fondra sous notre haleine. » 12
Et jusqu'au jour plus tiède où le carreau terni 12
Eut laissé couler l'eau de ses blanches écailles, 12
Pelotonnés au fond de notre amoureux nid, 12
Nous avons eu toujours bien chaud, comme deux cailles. 12
logo du CRISCO logo de l'université