Métrique en Ligne
RIC_2/RIC213
Jean RICHEPIN
LES CARESSES
1877
NIVÔSE
III
LES SOMNAMBULES
Quand on est amoureux, on vit 8
A la façon des somnambules 8
Qui vont, plus légers que des bulles, 8
Sur le bord des toits, l'œil ravi. 8
5 Le bord glissant comme de l'huile 8
Est sûr et ferme sous leurs pas. 8
Le gouffre est là, qu'ils ne voient pas, 8
Au bout de la dernière tuile. 8
Ils marchent les bras en avant 8
10 Comme s'ils priaient leurs étoiles, 8
Et ne sentent pas dans leurs moelles 8
Monter le vertige énervant. 8
Débarrassés des lois physiques, 8
Un aveugle instinct les conduit. 8
15 Les précipices de la nuit 8
Ont pour eux de douces musiques. 8
La brise qui leur parle bas 8
A n'avoir pas peur les engage. 8
L'infini leur tient un langage 8
20 Que le monde ne comprend pas. 8
Soutenus par un souffle étrange 8
Ils cheminent, silencieux, 8
Comme s'il allaient dans les cieux 8
Partir avec des ailes d'ange. 8
25 Ils vont ainsi jusqu'au moment 8
Où, d'un cri perçant leur oreille, 8
Quelqu'un qui les voit les réveille, 8
Et rompt le charme brusquement. 8
L'ange s'enfuit ! Reste la bête, 8
30 Qui, soûle encor d'avoir rêvé, 8
Chancelle, et va sur le pavé, 8
Sanglante, se casser la tète. 8
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