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RIC_2/RIC191
Jean RICHEPIN
LES CARESSES
1877
BRUMAIRE
XIV
REGAINS
Le fruit mûr tombe en automne, 7
L'arbre sec meurt en hiver ; 7
Et c'est pourquoi je m'étonne 7
De la fraîcheur monotone 7
5 Qu'a notre amour encor vert. 7
Oui, depuis plusieurs années 7
Que notre Avril est passé, 7
Bien des fleurs se sont fanées, 7
Bien des herbes, qui sont nées 7
10 Avec nous, ont trépassé. 7
Plus d'une espérance folle 7
A germé sous notre ciel, 7
Puis, triste, a clos sa corolle 7
Sans qu'une abeille qui vole 7
15 Y vînt parfumer son miel. 7
Nos voluptés apaisées 7
Ont ressemblé bien des fois 7
Aux feuilles mortes, brisées 7
Par la lourdeur des rosées 7
20 Qui sont les larmes des bois. 7
Tes rancœurs et mes colères, 7
Comme un soleil irrité, 7
Ont tari des sources claires 7
Où nos bêtes familières 7
25 Aimaient à boire l'été. 7
Capricieux et sans causes, 7
Tes feux en glace changés 7
Ont, Thermidors et Nivôses, 7
Tour à tour roussi des roses 7
30 Et gelé des orangers. 7
Mes désirs fous et sans trêves, 7
Comme des vents furibonds 7
Ont dispersé sur nos grèves 7
Le sable uni de tes rêves 7
35 Dans leurs vertigineux bonds. 7
Et malgré tout, ô mignonne. 7
Malgré le soleil, l'hiver, 7
L'orage, le vent, l'automne, 7
Dans son Avril monotone 7
40 Notre amour est encor vert. 7
Notre amour est la prairie 7
Où, malgré les fenaisons, 7
L'herbe n'est jamais flétrie ; 7
Et la luzerne fleurie 7
45 Qu'en chantant nous y faisons 7
A des pousses toujours fraîches, 7
Regains jamais épuisés, 7
Où nous menons hors des crèches 7
Paître loin des herbes sèches 7
50 Le troupeau de nos baisers. 7
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