Métrique en Ligne
RIC_2/RIC185
Jean RICHEPIN
LES CARESSES
1877
BRUMAIRE
VIII
LE DERNIER CADEAU
Lorsque je serai mort, mignonne, 8
Je ne veux pas être enterré, 8
Car ma chair ne serait pas bonne 8
Pour engraisser l'herbe d'un pré. 8
5 J'ai trop pleuré. 4
Tu t'en iras chez les orfèvres, 8
Portant dans un coin de ton drap 8
Ma mâchoire, mon nez, mes lèvres, 8
Mes yeux que ta main séchera, 8
10 Et cætera. 4
Tu diras : « Voici l'héritage 8
Que m'a laissé mon cher amant. 8
Las ! il n'avait pas davantage, 8
Mais tout cela vaut bien vraiment 8
15 Un diamant. » 4
Et comme leurs bouches épaisses 8
Riront de nous et de ce troc, 8
Tu mépriseras ces espèces, 8
Et tu laisseras là leur stock 8
20 D'objets en toc. 4
Mais tu feras de tes mains prestes 8
Avec quelques fils de laiton, 8
Des bijoux taillés dans mes restes 8
Pour ton doigt, ton oreille, et ton 8
25 Rose téton. 4
Mes lèvres rouges comme braise. 8
En cercle dur s'arrondissant, 8
Autour de ton doigt qui les baise 8
Formeront un éblouissant 8
30 Anneau de sang. 4
A tes oreilles délicates 8
Mes yeux jaunes scintilleront 8
Ainsi que de claires agates, 8
Et de tout près contempleront 8
35 Ton beau col rond. 4
Mes dents, collier de perles fines, 8
Aimant tes seins, iront entre eux 8
Juste au milieu des deux collines, 8
Ainsi qu'un ruisselet pierreux 8
40 Dans un val creux. 4
Mais au lieu de la croix chrétienne, 8
Comme un rubis plein de soleil 8
Tu pendras au bout de leur chaîne 8
Mon nez que mes pleurs au réveil 8
45 Ont fait vermeil. 4
Et, parée ainsi qu'une idole, 8
Prenant pour avirons mes bras 8
Et ma carcasse pour gondole, 8
Aussi loin que tu le pourras 8
50 Tu vogueras, 4
Remontant, à la découverte 8
De nos anciens paradis, 8
Le fleuve où, noyés sous l'eau verte. 8
Flottent nos amours de jadis. 8
55 Deprofundis ! 4
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