Métrique en Ligne
RIC_2/RIC150
Jean RICHEPIN
LES CARESSES
1877
THERMIDOR
VIII
LE GALANT JARDINIER
Lorsque dans voire jardin, 7
Mignonne, j'entrai soudain, 7
Vous avez fui comme un daim. 7
Vous avez caché vos craintes 7
5 Dans des coins en labyrinthes ; 7
Mais j'ai suivi vos empreintes. 7
J'ai su voir, même embrouillés 7
Parmi les gazons mouillés, 7
Les baisers de vos souliers. 7
10 Et, bon chien chassant de race, 7
Mon flair que rien n'embarrasse 7
A retrouvé votre trace. 7
Enfin mes yeux obstinés 7
Dans l'ombre où vous vous tenez 7
15 Voient le bout de votre nez. 7
« Rendez-vous ! Ou je saccage 7
Tous les arbres du bocage 7
Pour mettre l'oiselle en cage. » 7
Alors, d'un rire moqueur 7
20 Vous avez ri de bon cœur 7
A la barbe du vainqueur. 7
« Riez ! mais il faut promettre 7
Que j'aurai le droit de m'être 7
Introduit là comme un maître, 7
25 Et que dans ce beau verger, 7
Ainsi qu'un galant berger, 7
Vous même allez m'héberger. » 7
Alors, tel qu'un vin qui mousse, 7
Inondant votre frimousse 7
30 Vos pleurs ont mouillé la mousse. 7
« Pleurez ! Tout est superflu. 7
Je suis le maître absolu. 7
J'aurai ce que j'ai voulu. » 7
Alors, craignant ma colère, 7
35 Voyant qu'il fallait me plaire, 7
Vous avez chanté lanlaire, 7
Tra la la, turlulutu, 7
Au nez de votre vertu, 7
Et m'avez dit : « Que veux-tu ? » 7
40 J'ai mis ma main dans la vôtre, 7
Et, faisant le bon apôtre, 7
J'ai dit : « Une chose ou l'autre. » 7
J'ai dit : « Bah ! comme des fous 7
Allons tout droit devant nous. 7
45 Pour voir si vos fruits sont doux. 7
Je voudrais goûter, les unes 7
Après les autres, vos prunes, 7
Qu'elles soient blondes ou brunes. 7
Et si vous ne m'empêchez. 7
50 En dépouillant vos pêchers 7
Je ferai des gros péchés. 7
Même, si mon espoir ose, 7
Je pourrai cueillir la rose 7
Que votre main blanche arrose. » 7
55 Alors tu cédas. Alors 7
Tu m'abandonnas ton corps, 7
Ton jardin plein de trésors. 7
Ces fruits dont l'odeur allèche, 7
Ces beaux fruits que l'été lèche 7
60 Et mûrit à coups de flèche, 7
Ces fruits fermes, savoureux, 7
Que mes désirs amoureux 7
Savaient être faits pour eux. 7
Ces fruits d'or et d'émeraude 7
65 Sur lesquels l'abeille rôde 7
Et prend du miel en maraude, 7
Je pus selon mon plaisir 7
Les toucher et les choisir 7
Et m'en repaître à loisir. 7
70 Maintenant, sans qu'on m'évince, 7
Au jardin je suis un prince 7
Absolu dans sa province. 7
J'ai droit de vie et de mort 7
Sur les fruits que sans remord 7
75 Ma main palpe et ma dent mord. 7
« Peuh ! dit m'amour, qui badine, 7
Es-tu bien heureux ? — Pardine ! 7
Je jardine, je jardine. » 7
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