Métrique en Ligne
RIC_1/RIC90
Jean RICHEPIN
LA CHANSON DES GUEUX
1881
TROISIÈME PARTIE
NOUS AUTRES GUEUX
NOS GAIETÉS
XI
NOS REVANCHES
Le bourgeois digère, gavé, 8
Ses trois repas et son bien-être, 8
Et rit de voir sur le pavé 8
Les poètes traîner la guêtre. 8
5 Mais que vienne enfin notre jour, 8
Parmi le public idolâtre 8
Nous sourions à notre tour 8
Quand il fait la queue au théâtre. 8
Là, nous le menons par le nez, 8
10 Comme un enfant dont on s’amuse. 8
Dans ses deux gros yeux étonnés 8
Nous faisons pleurer notre Muse. 8
Môme avant le succès, d’ailleurs, 8
Nous avons contre cette engeance, 8
15 Sans conter les bons mots railleurs, 8
Plus d’une arme et d’une vengeance. 8
Nous avons le chant, la gaîté, 8
L’esprit qui guérit bien des choses, 8
Et le grand orgueil indompté 8
20 Qui nous fait des apothéoses. 8
Nous avons deux divins flambeaux 8
Dont la gloire les tarabuste : 8
C’est d’être jeunes, d’être beaux ! 8
Nous avons l’air de notre buste. 8
25 Ils disent en se rengorgeant : 8
– « Vous n’êtes pas de ma famille. 8
« Sans-le-sou, voyez mon argent. 8
« Tope, vous’ n’aurez pas ma fille. » 8
Mais tes filles sont mal en chair ; 8
30 Nous n’aimons pas les pommes aigres ; 8
Et tout l’or du monde, mon cher, 8
Ne donne pas de gorge aux maigres. 8
Près de ta fille, épouvantail 8
Dont le nez pointu nous éborgne, 8
35 Nous faisons sous son éventail 8
Rougir ta femme qui nous lorgne. 8
Garde tes filles sans appas, 8
Nous gardons notre épithalame. 8
Non ! non ! nous ne les aurons pas. 8
40 Mon vieux, mais nous avons ta femme. 8
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