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RIC_1/RIC56
Jean RICHEPIN
LA CHANSON DES GUEUX
1881
DEUXIÈME PARTIE
GUEUX DE PARIS
LES QUATRE SAISONS
XVIII
NOËL MISÉRABLE
Noël ! Noël ! à l’indigent 8
Il faudrait bien un peu d’argent, 8
Pour acheter du pain, des nippes. 8
Petits enfants, petits Jésus, 8
5 Des argents que vous avez eus 8
Il aurait bourré bien des pipes. 8
Noël ! Noël ! Les amoureux 8
Sont bien heureux, car c’est pour eux 8
Qu’est fait le manteau gris des brumes. 8
10 Sonnez, cloches ! cloches, sonnez ! 8
Le pauvre diable dans son nez 8
Entend carillonner les rhumes. 8
Noël ! Noël ! les bons dévots 8
S’en vont chanter comme des veaux, 8
15 Près de l’âne, au pied de la crèche. 8
Notre homme trouverait plus neuf 8
De manger un morceau du bœuf, 8
Et dit que ça sent la chair fraîche. 8
Noël ! ça sont les réveillons, 8
20 Les bons grands feux pleins de rayons, 8
Et la boustifaille, et la joie, 8
Le jambon rose au bord tremblant, 8
Le boudin noir et le vin blanc, 8
Et les marrons pondus par l’oie. 8
25 Et le misérable là-bas 8
Voit la crèche comme un cabas 8
Bondé de viande et de ripaille, 8
Et dans lequel surtout lui plaît 8
Un beau petit cochon de lait… 8
30 C’est l’enfant Jésus sur sa paille. 8
Noël ! Noël ! Le prêtre dit 8
Que Dieu parmi nous descendit 8
Pour consoler le pauvre hère. 8
Celui-ci voudrait bien un peu 8
35 Boire à la santé du bon Dieu ; 8
Mais Dieu n’a rien mis dans son verre. 8
Noël ! on ferme. Allons, va-t’en ! 8
Heureux encore si Satan, 8
Qui chez nous ces jours-là s’égare, 8
40 Te fait trouver dans le ruisseau 8
Quelque os où reste un bon morceau 8
Et quelque moitié de cigare ! 8
Noël ! Noël ! les malheureux, 8
N’ont rien pour eux qu’un ventre creux 8
45 Qui tout bas grogne comme un fauve, 8
Si bien que le bourgeois, voyant 8
Leur œil dans l’ombre flamboyant, 8
Au lieu de leur donner, se sauve. 8
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