Métrique en Ligne
RIC_1/RIC53
Jean RICHEPIN
LA CHANSON DES GUEUX
1881
DEUXIÈME PARTIE
GUEUX DE PARIS
LES QUATRE SAISONS
XV
JOUR DES MORTS
On n’a pas vu le ciel aujourd’hui. Gris, opaque, 12
Et très bas, le brouillard est resté suspendu. 12
Les regards se brisaient au froid de cette plaque, 12
Métal terni que nul rayon d’or n’a fendu. 12
5 Vers le soir seulement, au bord du lourd couvercle 12
Une lueur, ainsi qu’un fil de sang vermeil, 12
Se glisse, creuse un trou, puis s’élargit en cercle. 12
Le brouillard est trempé de gouttes de soleil. 12
Il s’effrange, il se fond en chauds reflets d’opale, 12
10 Et l’on voit vers le sol languissamment neiger 12
Des flocons de vapeur, ouate de pourpre pâle 12
Qui vole en tourbillon lumineux et léger. 12
Deux petits mendiants, blottis sous une porte, 12
Ouvrent leurs grands yeux bleus vaguement éblouis. 12
15 Songeant au cimetière où gît leur mère morte, 12
Du beau tapis qu’il tombe ils sont tout réjouis. 12
Car ces flottants flocons de pourpre sont les roses 12
Qui parfument du ciel les printemps toujours verts, 12
Et que le bon soleil jette en ces soirs moroses 12
20 Sur la terre endormie au tombeau des hivers. 12
logo du CRISCO logo de l'université