Métrique en Ligne
RIC_1/RIC20
Jean RICHEPIN
LA CHANSON DES GUEUX
1881
PREMIÈRE PARTIE
GUEUX DES CHAMPS
LES PLANTES, LES CHOSES, LES BÊTES
V
ÉPITAPHE POUR UN LIÈVRE
Au temps où les buissons flambent de fleurs vermeilles, 12
Quand déjà le bout noir de mes longues oreilles 12
Se voyait par-dessus les seigles encor verts 12
Dont je broutais les brins en jouant au travers, 12
5 Un jour que, fatigué, je dormais dans mon gîte, 12
La petite Margot me surprit. Je m’agite, 12
Je veux fuir. Mais j’étais si faible, si craintif ! 12
Elle me tint dans ses deux bras : je fus captif. 12
Certe elle m’aimait bien, la gentille maîtresse. 12
10 Quelle bonté pour moi, que de soins, de tendresse ! 12
Comme elle me prenait sur ses petits genoux 12
Et me baisait ! Combien ses baisers m’étaient doux ! 12
Je me rappelle encor la mignonne cachette 12
Qu’elle m’avait bâtie auprès de sa couchette, 12
15 Pleine d’herbes, de fleurs, de soleil, de printemps, 12
Pour me faire oublier les champs, les libres champs. 12
Mais quoi ! l’herbe coupée, est-ce donc l’herbe fraîche ? 12
Mieux vaut l’épine au bois que les fleurs dans la crèche. 12
Mieux vaut l’indépendance et l’incessant péril 12
20 Que l’esclavage avec un éternel avril. 12
Le vague souvenir de ma première vie 12
M’obsédant, je sentais je ne sais quelle envie ; 12
J’étais triste ; et malgré Margot et sa bonté 12
Je suis mort dans ses bras, faute de liberté. 12
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