Métrique en Ligne
REN_5/REN204
Armand RENAUD
AU PAYS DE LA MORT ET DE LA BEAUTÉ
1895
La Maison de Catulle
A Charles Formentin.
PRESQU'ÎLE longue et mince, entrant jusqu'à la garde, 12
Comme une fine épée, au flanc du lac de Garde, 12
O toi, verte émeraude au milieu des saphirs, 12
Colline d'oliviers où dansent les Zéphyrs, 12
5 Tandis que, devant toi, les immenses eaux bleues, 12
Se brisant en milliers de flots, pendant des lieues, 12
S'en vont au loin baigner la base des grands monts, 12
Antique Sirmio, site que nous aimons, 12
Et que les siècles morts ont aimé plus encore, 12
10 Il n'est, pour endormir ceux que leur cœur dévore, 12
Nul dictame puissant comme l'abri profond 12
Que tes arbres, ton ciel et tes ondes nous font. 12
Et c'est pourquoi voilà bientôt deux mille années 12
Qu'un poète habita les hauteurs couronnées 12
15 Des fleurs d'or du soleil, parmi les frondaisons. 12
C'étaient les mêmes eaux, les mêmes horizons 12
Dont le baume calmait son âme endolorie, 12
Lorsque vers toi, foyer natal, douce patrie, 12
Il revint, fuyant Rome et voulant s'arracher 12
20 A l'amour qui brûlait sa chair comme un bûcher. 12
Sans pouvoir oublier celle dont le caprice 12
Avait d'un court bonheur fait naître un long supplice. 12
La villa du poète, en ce temps-là, semblait. 12
En haut du promontoire où le lac déferlait. 12
25 Un cygne blanc posant la tête sous son aile. 12
Au portique de marbre une vigne en tonnelle 12
Mêlait ses longs serpents et ses festons touffus. 12
Et rien n'en est resté qu'un souvenir confus, 12
Qui dans l'ombre se perd parmi quelques ruines ! 12
30 Oh ! la Lesbie ouvrant au désir ses narines, 12
S'acharnant à chercher d'impossibles amours. 12
Dès qu'elle eut mis en lui la lièvre pour toujours ! 12
Et lui, le précurseur de Musset dans les âges, 12
Maudissant le poison des séduisants visages 12
35 Qui promettent l'ivresse et donnent le poison ! 12
Tout a passé, beauté, délire, trahison. 12
Comme tout, dans la vie, après une heure passe. 12
Mais la nature est là qui survit dans sa grâce. 12
Et sur les bords du lac à l'azur argenté, 12
40 Dont Catulle, oubliant sa blessure, a chanté 12
L'aspect de perle rare et de douce prunelle, 12
La nappe luit toujours, calmante et maternelle. 12
En haut du promontoire où la villa n'est plus, 12
Mais d'où l'on voit, avec l'apparence du flux, 12
45 Sur les grands rochers plats l'onde mourir encore, 12
Toujours on est charmé, lorsque le soir colore 12
La cime des rochers dont les flancs restent bleus. 12
Et de même un pouvoir sûr et miraculeux 12
Est toujours là qui verse, en un instant de trêve, 12
50 Au cœur le plus brisé l'apaisement du rêve. 12
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