Métrique en Ligne
REN_3/REN180
Armand RENAUD
CAPRICES DE BOUDOIR
1864
ÉGAREMENTS
XX
LA CHAMBRE AUX FLEURS
La nuit, j'aime à rêver, quand je suis solitaire, 12
D'une femme idéale et d'un bonheur complet. 12
Dans ces rêves, j'unis le ciel avec la terre, 12
Et tout ce qui console avec tout ce qui plaît. 12
5 Je veux l'esprit charmant et la beauté charnelle, 12
Que son cœur soit candide et blanches soient ses dents, 12
Qu'elle ait aux yeux des cils très-longs, à l'âme une aile, 12
Et des pudeurs de vierge avec des bras ardents. 12
Qu'en elle tous les flots où je bois le délire, 12
10 Mollesse, éclat, langueur, ruissellent combinés, 12
Que l'harmonie en monte, ainsi que d'une lyre, 12
Que le luxe y soit fou, comme chez les Phrynés. 12
Regardez ! le boudoir est superbe, avalanche 12
De perles et de fleurs, de dentelles et d'or ; 12
15 Le velours noir du lit repousse sa peau blanche ; 12
Il s'échappe d'un globe une lueur qui dort. 12
Les murs sont recouverts de tentures de soie. 12
Profonds sont les rideaux et profonds les tapis. 12
Sur chaque porte close une portière ondoie ; 12
20 Les bruits extérieurs y tombent assoupis. 12
Pendule ou sablier, rien ne nous marque l'heure. 12
Une femme de bronze aux rires étonnés, 12
Dans son repos sans fin qu'aucun rêve n'effleure, 12
Seule, vers nos plaisirs, tient ses grands yeux tournés. 12
25 Dans l'invisible espace, une musique vibre, 12
Si vague qu'on croirait une harpe du ciel ; 12
Et le cœur, consolé dans sa dernière fibre, 12
Laisse en lui le bonheur couler comme du miel. 12
Alors elle me dit : « O mon ami, je t'aime. 12
30 » Ta parole m'entraîne où les âmes s'en vont. 12
» Ton rêve est un palais, ta gloire un diadème ; 12
» Je demeure dans l'un et mets l'autre a mon front. » 12
Puis sa lèvre se tait, et voilà qu'elle songe. 12
Elle songe d'un air à la fois triste et doux. 12
35 Et moi, dans sa pensée, avec mes yeux, je plonge, 12
Comme en un lotus bleu les papillons hindous. 12
Mille fleurs en bouquets se meurent. Leurs haleines 12
Prennent dans l'agonie une plus acre odeur. 12
D'adieux la clématite et la rose sont pleines. 12
40 Le jasmin voudrait vivre et redouble d'ardeur. 12
Les airs trop embaumés tournent à l'asphyxie. 12
La sensation vague et molle du sommeil 12
A celle du plaisir enflammé s'associe. 12
La nuit pâle se mêle avec le jour vermeil. 12
45 Et pour ne pas mourir, je veux fuir. « Non ! dit-elle, 12
» Le monde ne vaut pas qu'on en prenne souci. 12
» Je sens à notre amour que l'âme est immortelle. 12
» Tous les deux, vers l'azur, envolons-nous d'ici. » 12
Les baisers, les parfums confondent leurs ivresses. 12
50 Plus de lâches calculs ! plus de folles douleurs ! 12
Bonne pour nous, la mort nous vient par les caresses, 12
Et notre âme s'exhale avec l'âme des fleurs. 12
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