Métrique en Ligne
REN_3/REN178
Armand RENAUD
CAPRICES DE BOUDOIR
1864
ÉGAREMENTS
XVIII
DANSE ET MUSIQUE
Les deux femmes, m'ayant conduit dans une chambre 12
Où flambait un feu clair, 6
Où l'or et le cristal étincelaient, où l'ambre 12
Se respirait dans l'air, 6
5 Sur un vaste sofa me dirent de m'étendre 12
Et puis de regarder, 6
De regarder pour voir, d'écouter pour entendre, 12
Sans leur rien demander. 6
Et de leurs vêtements s'étant débarrassées, 12
10 Sur elles n'ayant plus 6
Que des fleurs, des rubis et des gazes plissées 12
Ondulant comme un flux, 6
Elles se mirent, l'une, à tirer d'une harpe 12
De doux et lents accords, 6
15 L'autre à tourner, tenant sur sa tête une écharpe 12
Et balançant son corps. 6
Et celle qui jouait de la harpe était blonde, 12
Avec des cheveux tels 6
Qu'on aurait plutôt dit des rayons d'or sur l'onde 12
20 Que des cheveux mortels ; 6
Et les sons qui sortaient des cordes effleurées ' 12
Emportaient mon esprit 6
Par delà le soleil, dans les vagues contrées 12
Où le rêve fleurit, 6
25 Où la langueur vous prend, où regardant sans nombre 12
Les étoiles passer, 6
Par des souffles moelleux, dans des palais pleins d'ombre, 12
On se laisse bercer. 6
Et la danseuse avait un corps maigre aux tons bistres 12
30 Avec de noirs cheveux ; 6
Des yeux à moitié clos, langoureux et sinistres ; 12
Des soubresauts nerveux. 6
Et l'éclair du désir, traversant mes prunelles, 12
Allait brûler mon sang 6
35 Où le fauve troupeau des voluptés charnelles 12
Rôdait en rugissant. 6
La musique pourtant, mystérieuse et digne, 12
Ruisselait, ruisselait, 6
Et tombait sur mon cœur, comme un duvet de cygne 12
40 Ou des gouttes de lait, 6
Faisant dans ma pensée apparaître des choses 12
Sans formes et sans couleurs, 7
Mais tenant de l'azur, du cristal et des roses, 12
Du sourire et des pleurs. 6
45 La danseuse en délire, abandonnée, exsangue, 12
Plus rapide toujours, 6
Tournait, et la parole expirait sur sa langue 12
En bruits confus et sourds. 6
Ses bras s'arrondissaient sur son front, dans la pose 12
50 Des êtres éperdus, 6
Et son col et sa face étaient par la névrose 12
Étonnamment tordus. 6
Et mon cœur défaillait, brûlé d'ardeur trop vive ; 12
J'étais blême à la fin 6
55 De voir et de revoir ce festin sans convive 12
Passer devant ma faim. 6
Et la harpe jouait une marche sublime 12
Aux accents radieux ; 6
Et mon âme planait sur la dernière cime 12
60 Qui sépare des dieux. 6
La danseuse soudain eut un dernier vertige, 12
Un suprême transport, 6
Et s'en vint dans mes bras, tendus vers sa voltige, 12
Tomber comme un corps mort. 6
65 Alors l'autre, les yeux abîmés dans l'espace 12
Et les vêtements droits, 6
Ne montrant que sa tête inclinée avec grâce, 12
Ses mains aux frêles doigts, 6
Tira de l'instrument l'extase douce, douce, 12
70 Les soupirs inouïs. 6
Et je sentis au cœur une telle secousse 12
Que je m'évanouis. 6
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